L’ « infra-constitutionnalité »
matérielle du principe de la parité homme-femme en droit congolais
L’équipe gouvernementale actuelle est constituée de 44 membres, y
compris le premier ministre. On y compte quatre femmes, dont trois ministres et
une vice-ministre[1]. Dès lors se
pose la question du respect de la parité à laquelle incitent la Constitution et
les traités internationaux. En effet, en juillet 2004, les chefs d’Exécutifs et
de Gouvernements des États membres de l’Union Africaine, dont le Congo-Kinshasa,
ont fait une Déclaration solennelle par laquelle ils s’engageaient à promouvoir
et à étendre le principe de la parité entre les hommes et les femmes[2]. Ce
principe est présenté comme une grande innovation par l’Exposé des motifs de la
Constitution congolaise du 18 février (ci-après : la Constitution) : « À cet égard, répondant aux signes du temps, l'actuelle
Constitution introduit une innovation de taille en formalisant la parité
homme-femme »[3]. Le
Préambule de cette loi fondamentale le conçoit comme la représentation égale
des hommes et des femmes au sein des institutions du pays, laquelle reste un
objectif à atteindre. Nous entendons en étudier la concrétisation pour
apprécier, ensuite, le plus qu’il pourrait apporter à la protection de la femme
garantie par le principe de son égalité à l’homme et de sa non-discrimination
en droit congolais.
I. Le principe
de la parité homme-femme et sa concrétisation
Le principe de la parité homme-femme est prévu à l’article 14 de la
Constitution en ces termes : « l’État garantit la mise en œuvre de la
parité homme-femme ». Cette disposition est une norme d’organisation qui oblige
l’État à veiller sur la mise en œuvre de la parité entre l’homme et la femme.
À première vue, elle ne confère pas à la femme un droit à la parité.
Néanmoins, l’interprétation de ce principe doit tenir compte d’une autre
disposition du même article 14 qui dit que la femme
a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales,
provinciales et locales[4]. Or
cette représentation est une manifestation de la parité. Dès lors, si cette
dernière n’est pas représentée
équitablement dans chacune des institutions énumérées, toute femme peut se
plaindre pour violation de son droit constitutionnel à la représentation
équitable et subsidiairement pour violation du principe de la parité[5]. Qu’est-ce
donc que la parité ?
La parité a d’abord une
acception monétaire. C’est l’équivalence de valeur entre deux monnaies,
appréciée par référence aux critères communs dont leurs valeurs sont fonction
de change ; leur égalité de la valeur d’échange dans leurs pays respectifs
d’émission. Juridiquement, la parité signifie l’égalité mathématique entre
diverses catégories dans la composition d’un groupe social, réalisé lorsque
chaque catégorie y est représentée par un même nombre de personnes[6].
C’est avec raison que Marie-Madeleine Kalala peut la définir comme « une
égalité parfaite entre l’homme et la femme dans la représentation au sein des
organes de prise de décisions tant aux niveaux national que provincial et local
(sic) »[7].
La concrétisation de la parité
veut que dans toutes les institutions publiques aussi bien nationales,
provinciales que locales, on ait une représentation égale des hommes et des
femmes. Elle implique un même nombre de candidats et candidates et même
nombre d’élus et d’élues[8]. En
conséquence, on pourrait invalider certaines candidatures pour une raison d’un
surnombre en faveur d’un sexe. Pour la même raison, certains élus ou certaines
élues pourraient se voir exclure après élection puisqu’il faut avoir un même
nombre d’hommes que de femmes. Ce qui violerait alors le droit de vote et celui
d’être éligible.
En outre, la parité exigerait
que les postes à pourvoir ou les fonctions à exercer soient toujours en nombre
pair. Pour cela, il faudrait donc une grande réforme des institutions afin que
toutes les fonctions exercées par une seule personne le soient par un homme et
une femme ou en alternance. Ainsi, on aurait soit une co-présidence de la République,
une co-présidence de l’Assemblée nationale et du Sénat ; deux chefs du
gouvernent ; un gouvernorat dual, une mairie duale…, soit un mandat pour
les hommes et le suivant pour les femmes à chaque présidence. De toutes les
façons, il faudrait revoir presque tous les textes
régissant l’organisation et le fonctionnement de plusieurs entités et organes
étatiques[9].
Comme on peut le remarquer, la
mise en œuvre de la parité est une tâche ardue et complexe. Elle exige une
réflexion rigoureuse sur le contenu juridique réel à conférer à ce principe. En
tant qu’égalité arithmétique et parfaite, la parité doit respecter l’égalité juridique
des sexes qui se veut une égalité de chances, d’un côté, et le droit de vote du
corps électoral congolais, de l’autre.
Nous espérons que la loi sur
la parité, prévue à l’article 14 in fine,
en tiendra compte et précisera la concrétisation de ce principe dans tous les
secteurs de la vie publique congolaise et que la Cour constitutionnelle en
donnera une bonne interprétation, compatible avec les exigences de compétence
et de technicité, ainsi que le prévient Vundwawe[10].
II.
Le caractère superflu de la parité en tant que principe constitutionnel
Les revendications itératives des femmes et des féministes stigmatisant
la discrimination dont les femmes sont l’objet dans l’accès aux postes de
décision ont conduit à l’introduction dans la Constitution du principe de la
parité homme-femme[11].
Mais, aussi bien la parité que la non-discrimination, comme principes
protecteur de l’être féminin, sont des concrétisations du principe de
l’égalité. Celui-ci exige de traiter les cas semblables de façon semblables et
des cas différents de façon différente. Sous cet angle de vue, la parité
homme-femme est une égalité qui ne considère pas le sexe comme une
discriminante pertinente pour l’accès aux institutions nationales, provinciales
et locales. Elle est une concrétisation de l’égalité entre l’homme et la femme considérant
les deux êtres comme « semblables » et, donc, à traiter de la même
manière. Elle vise la représentation égalitaire des hommes et des femmes dans
les institutions publiques, mais exclut absolument toute différence ou écart
trop criant, trop élevé entre les uns et les autres. La parité est donc une
concrétisation spécifique de l’égalité excluant toute discrimination fondée sur
le sexe.
Dès lors, on peut se demander pourquoi on a fait de la parité un
principe constitutionnel spécifique, renforcé, de surcroît, par un droit
spécifique de la femme à une représentation équitable dans les institutions
nationales, provinciales et locales. Les principes d’égalité et de
non-discrimination figurent aussi bien dans la Constitution que dans les
instruments internationaux auxquels le Congo est partie. En effet, en plus de
l’art. 12 déjà évoqué ci-dessus, on peut mentionner l’art. 11 : « Tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Toutefois,
la jouissance des droits politiques est reconnue aux seuls Congolais, sauf
exceptions établies par la loi. » ; l’art. 14 al. 1 : « Les
pouvoirs publics veillent à l'élimination de toute forme de discrimination à
l'égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits.
Sur le plan international, plusieurs textes
ratifiés par notre pays vont dans le même sens. On peut citer : L’art. 1
de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du 10 décembre 1948 ;
l’art. 3 de la Convention sur les droits politiques de la femme du 20 décembre
1952 ; l’art. 3 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils
et politiques, du 16 décembre 1966 ; l’art. 3 du Pacte international de l’ONU relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, du 16 décembre 1966 ; la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme,
du 18 décembre 1979 ; les art. 2 et 3 de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples, du 27 juin 1981; l’art. 2, chif. 1 let. a du Protocole
à la Charte africaine des droits et des peuples relatif aux droits des femmes,
du 11 juillet 2003 ; les art. 2, ch. 11 et 8 chif. 2 et 2 de la Charte
africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, du 30 janvier
2007.
Tous
ces textes garantissant l’égalité juridique entre l’homme et la femme et donc
la protection de cette dernière et qui font partie de l’ordre juridique
congolais on été adoptés bien avant la Constitution actuelle. Ont-ils été jugés lacunaires quant à la
protection de la femme contre toute discrimination dans l’accès aux fonctions
publiques, pour ainsi justifier le recours à la
parité ? Est-ce que la généralité de l’égalité juridique aurait-elle amené à considérer celle-ci comme n’étant pas
suffisante pour assurer cette protection de la femme[12] ?
On ne devrait pas le penser. Ce doit être plutôt leur
concrétisation, leur mise en œuvre qui pose problème, ainsi que le reconnaît
Angélique Muyabo[13]. En
effet, toutes ces dispositions suffisent à protéger la femme. Leur mise en
œuvre garantit bien l’égalité entre l’homme et la femme, notamment dans la
participation à la vie publique, et particulièrement à la prise de décision à tous
les niveaux.
Il faudrait retenir que
finalement, la question qui se pose est
celle de l’effectivité[14]
de la protection de la femme contre toute discrimination dans l’accès aux
organes de prise de décisions et non de la garantie juridique comme telle. Il
était donc inutile, sous réserve d’une ouverture à la mode, de multiplier des
principes et des droits qui, encore une fois auront du mal à être effectifs.
Pour nous, il aurait fallu exiger le respect des textes en vigueur, au lieu
d’introduire un principe qui n’en est pas une règle d’application.
En tout état de cause, la parité pose plus de
problèmes juridiques qu’elle ne les résout. Pourquoi un droit spécifique,
n’est-ce pas méconnaître l’égalité entre l’homme et la femme en ravalant
celle-ci à une catégorie faible à protéger comme à tout prix à la manière d’un
enfant. Son hyper-protection ne suppose-t-elle pas sa fragilité et ne
porte-elle pas intrinsèquement atteinte à l’essence même de la parité ?
Il suit de là que la parité paraît superflue
comme norme constitutionnelle. Le principe de l’égalité entre l’homme et la
femme et son corollaire de la non-discrimination de la femme suffisent à
garantir constitutionnellement la protection de la femme contre l’omniprésence
de l’homme dans les instances décisionnelles.
Conclusion
La parité homme-femme est une concrétisation
du principe constitutionnel de l’égalité juridique entre les deux sexes. Il
n’était pas donc nécessaire de l’ériger en principe constitutionnel. Il aurait
fallu tout au plus en tenir compte dans les lois organiques et dans celles qui
régissent l’accès aux fonctions publiques à tous les niveaux. Elle aurait pu déborder
l’unique cadre politique pour embrasser toutes les structures de la société.
Tout compte fait, l’égalité des sexes ne se
moque-t-elle pas de la parité homme-femme du fait qu’elle la suppose ? La
parité homme-femme, elle-même, ne se moque-t-elle pas de la femme en insinuant
que cette dernière n’est pas l’égale de l’homme ?
En tant que concrétisation de l’égalité des
sexes, la parité aurait du être prévue non pas dans la Constitution, mais dans des
textes infra-constitutionnels, notamment les lois et les mesures d’application,
car le problème réside davantage dans l’élimination des discriminations de fait.
Constantin Yatala Nsomwe Ntambwe
Docteur en droit
[1] Voir l’Ordonnance présidentielle
n°10 / 025 du 19 février 2010 portant nomination des vice-premiers ministres,
ministres et vice-ministres.
(http://www.presidentrdc.cd/doc/gouvernement_2_2010.pdf).
[2]http://www.google.ch/search?sourceid=navclient&hl=fr&ie=UTF8&rlz=1T4HPEB_frCH221CH227&q=d%c3%a9claratio+de+l%27union+africaine+sur+la+parit%c3%a9
[3] Exposé des motifs,
dernière phrase sous 2 : Des droits humains, des libertés fondamentales et
des devoirs du citoyen et de l’État.
[4] À noter
que l’institution municipale a été omise, sauf si on peut la retrouver dans
« provinciales » ou « locales ». Néanmoins, l’énumération
est quand même limitative et donc exhaustive. Partant, il ne faut pas chercher « municipale »
dans provinciale ou locale, car il s’agit d’une institution différente des deux
autres qui sont nommément citées par la Constitution.
[5] La femme congolaise ne peut-elle pas se plaindre
contre l’ordonnance présidentielle du 19 février 2010 pour violation de son
droit constitutionnel à une représentation équitable dans cette institution
nationale, d’une part, et du principe constitutionnel de la parité homme-femme
dans cette institution, d’autre part ?
[7] Marie-Madeleine KALALA, « Parité homme-femme dans la période
post-électorale », in : Congo-Afrique, XLVIe année-402-403 (Février-Mars 2006), p. 103.
[9] En France, pour consacrer
la parité, la
révision constitutionnelle de 1999 a prévu que « la loi favorise l’égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives ». Le principe de parité doit en conséquence être appliqué à
toutes les élections locales reposant sur un scrutin de liste. S’agissant des
communes, la loi du 6 juin 2000 interdit tout écart supérieur à un entre le
nombre des candidats des deux sexes sur chaque liste dans les villes de plus de
3 500 habitants ; la parité doit y être appréciée par groupe de six
candidats, pour égaliser les chances électorales. Pour les élections
régionales, la loi du 11 avril 2003 impose la technique du
« sandwich » et exige que chaque liste soit composée alternativement
d’un candidat de chaque sexe » (André LEGRAND / Céline WIENER, Le droit public. Droit constitutionnel,
Droit administratif, Finances publiques, Institutions européennes, La
Documentation Française, Paris 2010, p. 76). À la question de savoir si les
dispositions sur la parité ont un caractère incitatif ou plutôt contraignant,
on peut répondre que l’objectif final c’est la parité numérique mais sans
rigueur, en recourant aux moyens incitatifs (Pierre PACTET /
Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le droit constitutionnel, 27e
édition mise à jour, Dalloz, Paris 2008, p. 378).
[12] Il est
vrai qu’en Suisse, pour empêcher les cantons d’exclure les femmes du barreau,
le Tribunal fédéral avait estimé, en 1923, qu’il s’agissait de la violation de
la liberté économique et non du principe d’égalité juridique de l’art. 4 aCst
(ATF 49 I 14). Mais, en 1977, la même haute cour helvétique avait jugé qu’il
est contraire au principe d’égalité de faire une différence de rémunération
entre institutrices et instituteurs (ATF 103 Ia 517). Cette dernière
jurisprudence à abouti à l’introduction dans la Constitution fédérale d’une
disposition sur l’égalité des sexes (art. 4 al. 2 aCst et repris par l’art. 8
al. 3 Cst), complétant ainsi le principe général de l’égalité (Andreas AUER /
Giogio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit
constitutionnel suisse, Volume II : Les droits fondamentaux, Deuxième
édition, Stämpfli, Berne 2006, p. 517-518).
[13] Angélique MUYABO K. N’KULU, « La bonne
gouvernance participative : le rôle de la femme », in : Congo-Afrique, XLVIe année-402-403 (Février-Mars 2006), p. 130 ss.
[14] Sur la notion
d’effectivité, lire : Constantin Yatala
Ntambwe, « L’effectivité du droit constitutionnel de recourir
contre tout jugement au regard du principe d’instance unique », in : http://www.droitcongolais.info/etudes_particulieres.html.
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