mercredi 9 avril 2014

Le projet de loi sur le statut des magistrats en RDC




Le projet de Loi organique modifiant et complétant  la Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats


Un projet de loi visant la révision partielle de la Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats (dans la suite : le Projet) a été soumis au Sénat par le Ministre de la Justice en date du 3 mai 2010[1]. Il vise à assainir le fonctionnement de la justice en exigeant des magistrats un bon bagage juridique et une probité irréprochable dans l’exercice de leur mandat.    Ils doivent observer la déontologie et la discipline pour ne pas porter atteinte à la fonction juridictionnelle ; si non, ils s’exposeraient à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation automatique indépendamment de la gravité de la sanction pénale. L’objectif poursuivi est noble mais toutes les propositions ne paraissent pas conformes à la Constitution et l’argumentation qui les sous-tend semble peu convaincante.
La révision envisagée de la loi portant statut des magistrats concerne l’appréciation du stage des magistrats recrutés en vertu de l’article 4 (1), la promotion des magistrats en cas d’urgence conformément à l’article 12 (2), la saisine du Procureur Général par le Gouvernement selon l’article 15 (3) et l’action disciplinaire contre les magistrats et l’automatisation de la révocation d’après l’article 61 (4).
Avant de formuler mes observations, je présenterai pour chacune des matières le contenu de la norme dont la révision est requise, la raison de cette révision et la proposition du Projet avant de formuler mes observations.
1. L’appréciation du stage des magistrats recrutés en vertu de l’article 4
1.1. Le contenu de l’article 4
À teneur de l’article 4, les candidats retenus sur la base des critères définis aux articles 1[2], 2[3] et 3[4] pour entrer dans la magistrature sont nommés Substituts du Procureur de la République par le Président de la République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Ils sont ensuite soumis à un stage de 12 mois, sanctionné par un rapport ad hoc obligatoire du Procureur de la République[5].
1.2. La motivation de la révision et la proposition
Le Projet relève que l’article 4 reste muet à propos de la suite à réserver aux magistrats dont le rapport de stage ne serait pas concluant. Pour combler cette lacune, il est proposé d’insérer à cet article un alinéa aux termes duquel « sauf prolongation du stage pour un nouveau terme de douze mois décidée par le Conseil Supérieur de la Magistrature, le magistrat qui fait l’objet d’un rapport défavorable est relevé de ses fonctions par le Président de la République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. »
1.3. Les observations
On peut saluer dans l’ajout proposé par le Projet le souci de la précision et de la clarté qui doit caractériser toute loi. Il est une réponse à l’exigence du principe de légalité qui garantit la sécurité juridique et la prévisibilité.
2. La promotion des magistrats en cas d’urgence conformément à l’article 12
2.1. Le contenu de l’article 12
L’article 12 prévoit qu’en cas d’urgence, le Premier Président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège ou le Procureur Général près cette Cour pour ceux du Parquet, peut désigner provisoirement à un grade immédiatement supérieur un magistrat remplissant les conditions prévues pour la promotion[6].
2.2. La motivation de la révision et la proposition
Le Ministre de la Justice rapporte que le Premier Président de la Cour Suprême de Justice et le Procureur Général de la République recourent à l’article 12 pour opérer des désignations, au motif que leur juridiction et office exercent les attributions dévolues à la Cour de cassation par l’article 223 de la Constitution. Pourtant, précise-t-il, cet article se limite aux attributions juridictionnelles. Aussi, proposition est faite de reconnaître ce pouvoir au Président du CSM, suffisamment distant de tous les magistrats et qui l’exercera sur proposition du Bureau dudit Conseil. Cela se justifie du fait que la disposition omet de mentionner le Premier Président du Conseil d’Etat et le Procureur Général près cette juridiction, les deux étant gestionnaires des magistrats placés sous leur autorité.
La présentation du Projet ajoute que l’alinéa 3 de l’article 12 dispose que si le CSM n’arrive pas à se réunir pendant deux ans pour entériner la désignation ainsi opérée, le grade est définitivement acquis et son président transmet au Président de la République la proposition de la nomination du magistrat. D’après le Ministre de la Justice, il s’agit d’une entorse au principe constitutionnel selon lequel le magistrat est nommé et promu sur proposition du CSM. Ce principe est proclamé aux articles 82 et 152 de la Constitution. L’alinéa 3 devra être reformulé de façon à le rendre conforme à la Constitution.
2.3. Les observations
Il n’existe aucun doute que la Constitution attribue à la CSJ les compétences de la Cour de cassation et des autres hautes cours en attendant leur installation. Son article 223 a la teneur suivante : « En attendant l’installation de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, la Cour suprême de justice exerce les attributions leur dévolues par la présente Constitution. » Cette disposition ne distingue pas entre les attributions juridictionnelles et les attributions administratives. Elle parle des compétences constitutionnelles attribuées aux trois hautes cours et qui sont exercées provisoirement par la CSJ. S’entendent donc toutes les attributions, sans exception. Rien n’autorise à soutenir, en tous cas d’après sa lettre qui n’affiche aucune ambiguïté, que l’article 223 envisage exclusivement des compétences juridictionnelles, ainsi que l’affirme le Projet.
À relever toutefois que les « attributions dévolues par la présente Constitution » font référence, en l’espèce, aux attributions constitutionnelles de la Cour de cassation décrites à l’article 153. En ses alinéas 2 et 3, cette norme définit les compétences juridictionnelles. On dirait a priori qu’il ne s’agit exclusivement que de ces compétences. Néanmoins, en son alinéa 4, le même article dispose que l’organisation, le fonctionnement et les compétences des juridictions de l’ordre judiciaire sont déterminés par une loi organique. Par le biais de cette délégation, la CSJ exerce, conformément à la Constitution, toutes les compétences dévolues à la Cour de cassation par la Loi organique portant statut des magistrats. Une loi qui précise une disposition constitutionnelle en allant au-delà de ce que prévoit cette dernière ne lui est pas contraire pour autant. C’est plutôt une conséquence du mécanisme d’application d’une norme supérieure par une norme inférieure. Ainsi donc, n’est pas contraire à la Constitution le fait que le Premier Président de la CSJ ainsi que le Procureur Général de la République se prévalent de l’article 12 pour procéder à des désignations provisoires en cas d’urgence. C’est une exception dont on ne pourrait pas soutenir qu’elle porte atteinte au principe de nomination sur proposition du CSM, sous réserve naturellement d’abus éventuels susceptibles d’être sanctionnés de toutes les façons, dans un État respectueux du droit.
En tout état de cause, en cas de doute persistant sur le sens à donner à l’article 223 de la Constitution et sa mise en œuvre par les lois organiques, il revient à la Cour constitutionnelle de donner une interprétation officielle et qui s’imposerait à tous. Une révision de la loi n’est donc pas nécessaire sur ce point.
Il est vrai que l’économie des règles recommande d’avoir une seule règle pour la même matière plutôt que d’en multiplier inutilement. Sur cette base, le Projet propose avec raison une même règle pour la Cour de cassation et le Conseil d’État dont la disposition ne fait pas mention. Mais l’omission de mentionner le Conseil d’État pourrait être interprétée comme un choix du législateur qui aurait tenu compte de la complexité des matières qui ressortissent à la Juridiction judiciaire, lesquelles doivent être traitées, même en cas d’urgence. Il doit s’agir, sans doute, d’un silence qualifié et non d’une lacune praeter legem à combler par l’adoption d’une autre disposition.
Il est étonnant de constater que le Ministre de la Justice stigmatise ici l’entorse à un principe constitutionnel et légitime ainsi, peut-être inconsciemment, le déni d’administration de la part du CSM au détriment de la promotion d’un magistrat. Pourtant, l’article 12 dont est réclamée la révision sanctionne l’inaction du CSM, sans méconnaître sa compétence de proposer la promotion de magistrats.
3. La saisine du Procureur Général par le Gouvernement selon l’article 15
3.1. Le contenu de l’article 15
L’article 15 dispose : « Le magistrat du Parquet assume sa mission d’Officier du ministère public sous la direction de l’autorité hiérarchique. Toutefois, sans préjudice des articles 149, 150 et 151 de la Constitution, le Gouvernement peut, sans avoir à interférer de quelque manière que ce soit dans le cours de l’instruction, saisir le Procureur général près la Cour de cassation des faits qui relèvent de sa compétence, afin de mettre l’action publique en mouvement. »
3.2. La motivation de la révision et la proposition
La Présentation du Projet  prétend que l’article 15 institue « l’injonction » du Gouvernement à l’endroit du Procureur Général près la Cour de cassation pour les faits infractionnels rentrant dans sa compétence afin de mettre l’action publique en mouvement. Il ajoute que « si ce pouvoir d’injonction a été maintenu », c’est parce que, à teneur des articles 91 et 93 de la Constitution, le Gouvernement conduit la politique de la Nation; et le Ministre applique le programme du Gouvernement dans son Ministère, sous la direction et la coordination du Premier Ministre. Il se fonde au surplus sur les attributions du Ministre de la Justice[7] et tire la conclusion que celui-ci dispose d’un droit de regard sur les Parquets de la République. Ainsi donc, la méconnaissance de ce droit serait une consécration du gouvernement des juges alors que c’est l’Exécutif qui répond devant le Parlement des actes du Pouvoir judiciaire[8].
Dans sa présentation du Projet, le Ministre de la Justice déploie une longue plaidoirie en faveur de l’injonction. Il relève que le Procureur Général près la Cour de cassation, qui héritera du statut du Procureur Général de la République, ne dispose pas de la plénitude de l’exercice de l’action publique devant toutes les juridictions du pays. Il n’exerce cette action que devant la Cour de cassation et à l’égard des faits commis par les justiciables de cette juridiction. Ce qui signifie qu’il dispose que d’une compétence personnelle et matérielle. En conséquence, au regard de l’article 12, alinéa 3 du Code de l’Organisation et de la compétence judiciaires, il ne peut instruire ni poursuivre des faits commis par les justiciables autres que ceux de la Cour de cassation que sur injonction du Ministre de la Justice. Cette injonction lui permet de poursuivre les infractions relevant de la compétence du Tribunal de Paix et du Tribunal de Grande Instance. Ce pouvoir de poursuite ressortit ordinairement au Procureur Général près la Cour d’appel, conformément à l’article 13 du Code de l’Organisation et de la compétence judiciaires[9].
En invoquant l’article 19 du Projet de loi organique portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires en discussion au niveau de l’Assemblée Nationale qui a reproduit fidèlement l’article 12 susvisé, le Projet propose que l’article 15 soit libellé dans les mêmes termes que les articles 12 et 19 déjà cités, en les combinant avec l’article 17 du premier Projet.  
La présentation du Projet entend par injonction « une invitation faite au Ministère public à exercer ses pouvoirs légaux d’instruction et de poursuite. Loin de constituer une immixtion, l’injonction est une passerelle de collaboration entre les pouvoirs, une passerelle positive ». Elle « s’oppose ainsi au veto qui est l’invitation à s’abstenir d’exercer les prérogatives légales. » Elle « incite le magistrat du Ministère public à exercer les charges de son état et ne rentre pas dans la direction de l’exercice de l’action publique, direction laissée au chef hiérarchique du magistrat. » Le Projet en arrive à la conclusion que « l’autorité et l’injonction ne sont pas contraires à l’indépendance du pouvoir judiciaire et aucun système judiciaire au monde ne l’ignore sauf en République Démocratique du Congo si on le veut ainsi. »
De plus, la Présentation du Projet souligne ceci : « Les articles 5 et 149 combinés de la Constitution renseignent que la justice est un pouvoir émanant du peuple qui l’exerce par ses mandataires que sont les magistrats, plus précisément les juges, pour garantir la paix sociale et l’ordre public. Le Gouvernement ayant en charge la paix sociale et l’ordre public, il est dès lors concevable que par le canal du Ministre de la Justice, il puisse inviter le Ministère public à exercer ses prérogatives légales. » Elle propose, enfin, d’élaguer du texte l’expression sous réserve des dispositions de l’article 15 de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats.
3.3. Les observations
Le Projet prétend que l’article 15 maintient l’injonction. Il la définit comme une invitation adressée au Procureur Général de la République à exercer ses prérogatives légales, comme si elle n’était envisageable que dans les cas où ce magistrat aurait omis ou négligé d’exercer sa fonction. Pourtant il s’agit d’étendre sa compétence sur les affaires qui n’en relèvent pas. Par ailleurs, s’il doit exercer ses compétences, il n’a pas besoin d’être invité, si lui-même peut se rendre compte de l’interruption de la paix sociale ou de l’atteinte à l’ordre public, d’autant plus que la Police nationale existe et peut collaborer avec lui. Il ne peut qu’être saisi. C’est cette saisine que prévoit l’article 15 et qui doit être maintenue. Quant à l’injonction que le Procureur Général de la République peut donner aux Procureurs généraux et aux Procureurs de République, elle se comprend du fait de la hiérarchie au sein du Ministère public. Cela n’est pas le cas dans les relations entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir judiciaire, lesquels sont deux pouvoirs séparés et donc indépendants.
Le problème ne réside pas dans la définition de l’injonction qui pourrait toujours être construite pour le besoin de la cause et sans référence à aucun dictionnaire ordinaire ou juridique ; il est plutôt relatif à la réalité concrète à laquelle renvoie cette institution.
La source d’inspiration du Projet qu’est l’article 12 de l’Ordonnance-loi sur l’organisation et la compétence judiciaire de 1982 prévoyant l’injonction est contraire à la Constitution actuelle[10]. D’après cette norme, en dehors de l’action publique qu’il exerce devant la CSJ pour les cas qui ressortissent à cette juridiction, le Procureur Général de la République ne peut initier ou continuer toute autre instruction devant une autre juridiction que sur injonction du Commissaire d’État à la Justice. Celui-ci proroge, au fond, la compétence du Procureur Général de la République.
On ne devrait plus s’y référer, même si sa contrariété à la Constitution n’est pas encore déclarée par la juridiction compétente conformément à l’article 221 de la Constitution. Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle l’article 15 adopté sous le régime de l’actuelle Constitution ne maintient pas l’injonction. Il prévoit plutôt la saisine. Partant, il ne doit pas être révisé. L’institution d’injonction qui n’est concevable que dans un système qui entend subordonner le Judiciaire à l’Exécutif constitue un retour en arrière. Elle est l’expression d’une volonté d’inféoder le Pouvoir Judiciaire au Pouvoir exécutif et qui ne se justifie aucunement dans un État qui se veut de droit. Elle dissimulerait l’intention de « ressusciter » un régime défunt du siècle passé qui ne connaissait pas la séparation effective des pouvoirs.  
Contrairement à la prétention du Projet, il est bel et bien question d’une immixtion et non d’une passerelle de collaboration entre les pouvoirs. Dans un régime dictatorial comme celui qui l’a instituée au bénéfice d’un commissaire, l’injonction ne peut signifier que le fait de donner des ordres et non une invitation à exercer les prérogatives légales. L’injonction revêt un caractère formateur et non celui de rappel. Il ne s’agit pas d’une incompétence négative. C’est plutôt une extension de compétence qui viole la séparation des pouvoirs et l’indépendance vis-à-vis du Pouvoir législatif et du Pouvoir exécutif que garantit l’article 149 de la Constitution au Pouvoir judiciaire comprenant aussi bien les magistrats du siège que ceux du Parquet. Par conséquent, même si l’article 151 al. 1 ne le cite pas expressément, le Procureur Général de la République ne doit pas, tout autant que le Juge, recevoir d’injonction dans l’exercice de ses fonctions. De plus, l’article 15 de la loi portant statut des magistrats n’institue pas l’injonction, mais la saisine. Il utilise le verbe « saisir » et non enjoindre. Il n’existe donc pas de raisons juridiques de le réviser.
4.1. Le contenu de l’article 61
L’article 61 dispose : « L’action disciplinaire demeure distincte et indépendante de l’action répressive à laquelle peuvent donner lieu les mêmes faits. Toutefois, en cas de condamnation définitive à une peine privative de liberté supérieure à trois mois, le magistrat est révoqué d’office. »

4.2. La motivation de la révision et la proposition
D’après le Projet, l’article 61 déroge au principe général selon lequel le magistrat n’est révoqué qu’à la suite d’une faute disciplinaire déclarée et établie par le CSM, dès lors qu’elle permet la révocation du magistrat qui a fait l’objet d’une condamnation pénale.
Le même Projet relève que dans sa formulation actuelle, la disposition reste, pour plusieurs raisons, en deçà des attentes sur la sévérité de la sanction ayant pour objectif l’amélioration du fonctionnement de la justice pour plusieurs raisons. La première raison est un constat selon lequel pour éviter la révocation du magistrat, les juridictions prennent soin de ne pas prononcer une peine privative de liberté supérieure à trois mois ou d’y substituer une peine d’amende. Ainsi, un magistrat condamné du chef d’une infraction, même infamante, poursuit sa carrière normalement dès lors que la peine prononcée n’est pas l’emprisonnement ou ne dépasse pas trois mois.
La deuxième raison est que la norme ne prend pas suffisamment en compte la nature et la conséquence de la condamnation d’un magistrat. Pourtant toute condamnation d’un magistrat doit s’analyser en désaveu de l’acte posé par celui-ci. Elle consacre un manquement aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité de ses fonctions. Aussi, prononcée définitivement, toute condamnation doit-elle entrainer la révocation de son auteur exclusivement en matière d’infraction intentionnelle.
Une troisième raison est que la l’article 61 passe sous silence de nombreuses condamnations de nature civile prononcées en l’encontre du magistrat pour les actes commis dans ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. C’est notamment le cas des condamnations intervenues à la suite de la procédure de prise à partie pour concussion ou dol commis soit dans le cours de l’instruction, soit lors de la décision rendue et à l’issue de laquelle la République est systématiquement condamnée au paiement de forts dommages et intérêts en sa qualité de civilement responsable. Le constat de cette insuffisance justifie amplement la modification de l’article 61 du statut des magistrats en l’étendant aux condamnations pénales pour infraction intentionnelle et aux condamnations de nature civile.
D’après le Projet, indépendamment de l’action disciplinaire, le magistrat sera désormais révoqué à la suite d’une condamnation définitive à une peine de servitude pénale, quel qu’en soit le taux, ou à une amende pour infraction intentionnelle, ou à la suite d’une condamnation définitive consécutive à une prise à partie pour dol ou concussion. En outre, dans le but de préserver la dignité du corps, sera interdit d’exercer ses fonctions jusqu’à la clôture définitive de la procédure engagée le magistrat qui sera poursuivi pénalement pour infraction intentionnelle ou pris à partie pour dol ou concussion, et dont l’autorisation de poursuite sera accordée par le Président de la CSJ pour ce dernier cas.


4.3. Les observations
Certes, en évitant d’infliger à leurs pairs une peine pouvant donner lieu à révocation, les magistrats se protègent par solidarité mais au détriment de la justice. Cela est inadmissible et doit être sanctionné. De plus, la condamnation aux dommages et intérêts constitue une sanction qui doit avoir un impact sur la fonction des magistrats, en guise de prévention générale. Néanmoins, la constitutionnalité de la proposition d’une révocation automatique mérite d’être examinée au regard de la compétence du CSM de proposer notamment la révocation des magistrats. En effet, la Constitution reconnaît au CSM le pouvoir de proposer la révocation des magistrats qui, elle, est prononcée par le Président de la République (art. 152 al. 3 et 82). Or, en proposant la révocation automatique du magistrat condamné à l’issue d’une prise à partie, le Ministre de la Justice prétend que la compétence du CSM n’est pas entamée, car c’est lui qui constatera la condamnation et proposera la révocation. Mais si la révocation est automatique, c’est-à-dire ex lege, comment peut-on encore la proposer ? On ne peut que la déclarer.
Néanmoins, la déclaration d’une révocation suppose la réalisation des conditions légales par le comportement du magistrat en cause. On pourrait alors comprendre d’une autre façon le rôle du CSM. Il se réduirait dans ce cas à vérifier la typicité de l’acte du magistrat concerné, c’est-à-dire sa conformité à l’énoncé de fait légal. La conclusion de cette conformité mettrait alors le CSM en position de requérir du Président de la République la déclaration de révocation de ce magistrat.
De toutes les manières, cette procédure consistant à constater une condamnation assortie d’une révocation qui ne peut être que déclarée et non décidée ne viole-t-elle pas la Constitution qui prévoit la révocation des magistrats sur proposition CSM ? Cette proposition ne porte pas, en effet, sur la déclaration d’une révocation déjà encourue, mais sur une révocation devant être prononcée. Il doit s’agir d’une décision formatrice et non constatatoire[11]. Sur ce point, la proposition de révision paraît contraire à la Constitution.
Il est curieux d’observer que, pour la révocation automatique, l’Exposé des motifs ne tient pas compte du principe constitutionnel qu’il défend pour la promotion (cf. supra : sous : 2.3). Il fait une proposition de l’article 161 qui reprend, mutatis mutandis l’esprit de 12 al. 3. Tout en envisageant la révocation automatique du magistrat condamné pour concussion, dol ou déni de justice dans une procédure de prise à partie, il recourt, par respect pour la Constitution, à la proposition de révocation par le CSM. Comment peut-on proposer une révocation automatique subie du fait de réaliser les conditions prévues par la disposition légale ? La cohérence aurait voulu qu’il reprenne le même raisonnement et renonce à sa proposition d’élargir les possibilités de révocation automatique qui porte atteinte à la compétence du CSM. Sa proposition aurait consisté plutôt en la suppression de toute révocation automatique, en dehors de la procédure disciplinaire, à l’issue de laquelle le CSM peut adresser au Président de la République une proposition de révocation d’un magistrat fautif. Cela ne signifie pas que la sanction pénale n’est pas à prendre en compte. Elle devrait être assimilée à une faute disciplinaire.

Faut-il conclure ? Dans le Préambule de la Constitution, le peuple congolais s’engage à faire de la RDC un État de droit. Aussi, toute révision législative qui poursuit cet idéal et qui contribue à l’amélioration de notre système juridique est à encourager, étant donné surtout que plusieurs lois édictées avant la Constitution actuelle posent le grave problème de leur conformité à celle-ci. Cela étant, la priorité devrait être donnée à leur révision et non à celles qui ont été promulguées sous le régime de la Constitution en vigueur, comme c’est le cas en l’espèce. La loi portant statut des magistrats est de 2006. Elle n’a que 4 ans d’existence, pendant qu’il en existe plusieurs, même celles qui datent de l’époque coloniale, et qui n’ont jamais été modifiées, en dépit du changement de système constitutionnel. De plus, hormis la disposition appelée à combler la lacune de l’article 4 en lui ajoutant un alinéa, les autres propositions du Projet constituent une violation de la Constitution et veulent restaurer une justice des ministres. La motivation y relative et contenue dans le Projet ne paraît pas suffisamment convaincante.
Ces remarques révèlent la nécessité d’envisager dans la procédure d’adoption des lois au Congo-Kinshasa une sorte de « droit d’être entendu » des destinataires, en prévoyant la consultation des milieux concernés par la matière en cause et des juristes patentés aux opinions divergentes, voire contradictoires. Aussi, chaque avant-projet de loi devrait leur être soumis pour avis et observations, en vue d’améliorer la qualité matérielle du le texte à soumettre au vote du Parlement. Cette suggestion vaut également pour chaque proposition de loi avant sa soumission au vote du Législateur. Cela éviterait d’avoir des lois qui posent plus de problèmes juridiques qu’elles ne les résolvent, à l’instar du présent Projet. Aussi, même s’il advient au Parlement de l’adopter ce Projet, le Juge constitutionnel, lors de l’examen de sa conformité à la Constitution ne devrait pas en cautionner les inconstitutionnalités. Sa crédibilité en dépend.



Constantin Yatala Nsomwe Ntambwe
Docteur en Droit


Ci-après l’intégralité de la Présentation du Projet  


[1] Devant l’impossibilité, peut-être uniquement subjective, d’accéder au Projet proprement dit, je me suis contenté de sa Proposition qui est suffisamment explicative de la quintessence des manières dont la révision est proposée. Ce d’autant plus que l’intérêt du juriste porte davantage sur la motivation de la révision que sur la révision elle-même.
[2] Article 1er : « Nul ne peut être nommé magistrat s’il ne réunit les conditions énumérées ci-après : 1. posséder la nationalité congolaise ; 2. être âgé d’au moins vingt et un ans accomplis et n’avoir pas dépassé l’âge de quarante ans ; 3. jouir de la plénitude de ses droits civiques ; 4. jouir d’une parfaite moralité attestée par un certificat délivré par une autorité administrative et par un extrait de casier judiciaire ; 5. posséder les aptitudes physiques et mentales attestées par un certificat médical daté de moins de trois mois au dépôt du dossier au Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature ; 6. être titulaire d’un diplôme de docteur ou de licencié en droit délivré par une université nationale publique ou privée légalement agréée ou d’un diplôme délivré par une université étrangère déclaré équivalent conformément à la législation congolaise sur l’équivalence des diplômes ; 7. s’il s’agit d’une personne mariée, produire un extrait d’acte de mariage. »
[3] Article 2 : « Le recrutement s’effectue sur concours. Il peut se faire sur titre lorsque le nombre de candidats ne dépasse pas celui de postes à pourvoir. Tout recrutement est effectué à l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature et requiert une publicité préalable par voie d’avis officiel dans tous les chefs-lieux des provinces, fixant un délai utile pour l’introduction des candidatures. Le Secrétariat permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature organise la constitution et le dépôt des dossiers ainsi que le déroulement des concours dans tous les chefs-lieux des provinces. Ne sont retenus, à l’issue du concours, que les candidats ayant obtenu les points au-dessus de la moyenne requise et classés en ordre utile eu égard au nombre de postes à pourvoir. Les candidats non retenus mais ayant obtenu le minimum des points requis sont portés sur une liste de réserve permettant leur nomination, par ordre de classement, au fur et à mesure des vacances de postes, endéans trois ans. Aucun nouveau concours ne peut être organisé avant l’épuisement de cette liste. »
[4] Article 3 : « Sont dispensés du concours, les candidats ayant exercé comme Avocat durant au moins cinq ans. »
[5] Article 4 : « Les candidats retenus sur base des articles 1, 2 et 3 ci-dessus sont, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, nommés Substituts du Procureur de la République, par le Président de la République. Ils sont admis à l’école supérieure de la magistrature et soumis à un stage de douze mois dont l’organisation est fixée par le Conseil supérieur de la magistrature. À l’issue de ce stage, un rapport ad hoc est obligatoirement dressé par le Procureur de la République. »  
[6] Article 12 : « En cas d’urgence, le Premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège ou le Procureur général près cette cour pour ceux du Parquet, peut désigner provisoirement à un grade immédiatement supérieur, tout magistrat remplissant les conditions prévues à l’alinéa 1er de l’article 11. Cette désignation est soumise à l’approbation de la plus proche réunion du Conseil supérieur de la magistrature. Au cas où le Conseil Supérieur de la Magistrature ne se prononce pas ou est dans l’impossibilité de siéger endéans deux ans, le magistrat ainsi désigné acquiert de plein droit le grade proposé. Dans ce cas, le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature transmet le dossier au Président de la République pour nomination. »
[7] L’article 1er de l’ordonnance n°08/074 du 24 décembre 2008 fixant les attributions des Ministères, dispose : - en son point A, 1er tiret : « les Ministres conçoivent, élaborent et assurent la mise en œuvre de la politique du Gouvernement dans les secteurs qui leur sont confiés » ;- en son point B.6 : « Le Ministre de la Justice exécute la politique judiciaire du Gouvernement. »
[8] Mais la Présentation ne dit pas que ce droit de regard pourrait a contrario consacrer la Justice des ministres, ce à quoi s’oppose le principe de l’indépendance du Pouvoir judiciaire.
[9] Cette disposition dit : « L’exercice de l’action publique dans toute sa plénitude et devant toutes les juridictions de son ressort appartient au Procureur Général près la Cour d’appel ». 
[10] Cet article dispose : « - Le procureur général de la République exerce près la Cour suprême de justice, les fonctions du ministère public, en ce compris l'action publique. Il peut cependant, sur injonction du commissaire d'État à la justice, initier ou continuer toute instruction préparatoire portant sur des faits infractionnels qui ne ressortent pas de la compétence de la Cour suprême de justice. Il peut également, sur injonction du commissaire d'État à la justice ou d'office et pour l'exécution des mêmes devoirs, faire injonction aux procureurs généraux, près la cour d'appel et la Cour de sûreté de l'État. De même, le procureur général de la République peut, sur injonction du commissaire d'État à la justice, requérir et soutenir l'action publique devant tous les cours et tribunaux à tous les niveaux. Le procureur général de la République a un droit de surveillance et d'inspection sur les parquets généraux près les cours d'appel et la Cour de sûreté de l'État. Un ou plusieurs premiers avocats généraux et avocats généraux assistent le procureur général de la République. Ils exercent leurs fonctions du ministère public sous sa surveillance et sa direction. » À noter que pareillement est contraire à la Constitution l’article 19 du Projet de loi organique portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires, en discussions à l’Assemblée nationale.
[11] Cette situation fait penser au Droit ecclésial qui prévoit deux sortes de peine : latae sententiae et ferendae sententiae. La première est encourue automatiquement, sans jugement, du seul fait de la commission du délit assortie de cette peine ; la seconde doit être prononcée dans une sentence par l’autorité compétente (cf. canon 1314).

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