Le projet de Loi organique modifiant et
complétant la Loi organique n°06/020 du
10 octobre 2006 portant statut des magistrats
Un projet de loi visant la révision partielle de la Loi
organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats (dans la
suite : le Projet) a été soumis au Sénat par le Ministre de la Justice en
date du 3 mai 2010[1]. Il vise
à assainir le fonctionnement de la justice en exigeant des magistrats un bon
bagage juridique et une probité irréprochable dans l’exercice de leur mandat. Ils doivent observer la déontologie et la
discipline pour ne pas porter atteinte à la fonction juridictionnelle ; si
non, ils s’exposeraient à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation
automatique indépendamment de la gravité de la sanction pénale. L’objectif
poursuivi est noble mais toutes les propositions ne paraissent pas conformes à
la Constitution et l’argumentation qui les sous-tend semble peu convaincante.
La révision envisagée de la loi portant statut des magistrats
concerne l’appréciation du stage des magistrats recrutés en vertu de l’article
4 (1), la promotion des magistrats en
cas d’urgence conformément à l’article 12 (2), la saisine du Procureur Général
par le Gouvernement selon l’article 15 (3) et l’action disciplinaire contre les
magistrats et l’automatisation de la révocation d’après l’article 61 (4).
Avant de formuler mes observations, je
présenterai pour chacune des matières le contenu de la norme dont la révision
est requise, la raison de cette
révision et la proposition du Projet avant de formuler mes observations.
1. L’appréciation du stage des magistrats recrutés
en vertu de l’article 4
1.1. Le contenu de l’article 4
À teneur de l’article 4, les candidats retenus sur la base des
critères définis aux articles 1[2], 2[3] et 3[4] pour entrer dans la magistrature sont
nommés Substituts du Procureur de la République par le Président de la
République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Ils
sont ensuite soumis à un stage de 12 mois, sanctionné par un rapport ad hoc
obligatoire du Procureur de la République[5].
1.2. La motivation de la révision et la proposition
Le Projet relève que l’article 4 reste muet à propos de la
suite à réserver aux magistrats dont le rapport de stage ne serait pas
concluant. Pour combler cette lacune, il est proposé d’insérer à cet article un
alinéa aux termes duquel « sauf prolongation du stage pour un nouveau
terme de douze mois décidée par le Conseil Supérieur de la Magistrature, le
magistrat qui fait l’objet d’un rapport défavorable est relevé de ses fonctions
par le Président de la République sur proposition du Conseil Supérieur de la
Magistrature. »
1.3. Les observations
On peut saluer dans l’ajout proposé par le Projet le souci de
la précision et de la clarté qui doit caractériser toute loi. Il est une
réponse à l’exigence du principe de légalité qui garantit la sécurité juridique
et la prévisibilité.
2. La promotion des magistrats en cas d’urgence conformément à
l’article 12
2.1. Le contenu de l’article 12
L’article 12 prévoit qu’en cas d’urgence, le Premier Président
de la Cour de cassation pour les magistrats du siège ou le Procureur Général
près cette Cour pour ceux du Parquet, peut désigner provisoirement à un grade
immédiatement supérieur un magistrat remplissant les conditions prévues pour la
promotion[6].
2.2. La motivation de la révision et la proposition
Le Ministre de la Justice rapporte que le Premier Président de
la Cour Suprême de Justice et le Procureur Général de la République recourent à
l’article 12 pour opérer des désignations, au motif que leur juridiction et
office exercent les attributions dévolues à la Cour de cassation par l’article
223 de la Constitution. Pourtant, précise-t-il, cet article se limite aux
attributions juridictionnelles. Aussi, proposition est faite de reconnaître ce
pouvoir au Président du CSM, suffisamment distant de tous les magistrats et qui
l’exercera sur proposition du Bureau dudit Conseil. Cela se justifie du fait
que la disposition omet de mentionner le Premier Président du Conseil d’Etat et
le Procureur Général près cette juridiction, les deux étant gestionnaires des
magistrats placés sous leur autorité.
La présentation du Projet ajoute que l’alinéa 3 de l’article 12
dispose que si le CSM n’arrive pas à se réunir pendant deux ans pour entériner
la désignation ainsi opérée, le grade est définitivement acquis et son
président transmet au Président de la République la proposition de la
nomination du magistrat. D’après le Ministre de la Justice, il s’agit d’une
entorse au principe constitutionnel selon lequel le magistrat est nommé et promu
sur proposition du CSM. Ce principe est proclamé aux articles 82 et 152 de la
Constitution. L’alinéa 3 devra être reformulé de façon à le rendre conforme à
la Constitution.
2.3. Les observations
Il n’existe aucun doute que la Constitution attribue à la CSJ
les compétences de la Cour de cassation et des autres hautes cours en attendant
leur installation. Son article 223 a la teneur suivante : « En
attendant l’installation de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de
la Cour de cassation, la Cour suprême de justice exerce les attributions leur
dévolues par la présente Constitution. » Cette disposition ne distingue pas
entre les attributions juridictionnelles et les attributions administratives.
Elle parle des compétences constitutionnelles attribuées aux trois hautes cours
et qui sont exercées provisoirement par la CSJ. S’entendent donc toutes les
attributions, sans exception. Rien n’autorise à soutenir, en tous cas
d’après sa lettre qui n’affiche aucune ambiguïté, que l’article 223 envisage
exclusivement des compétences juridictionnelles, ainsi que l’affirme le Projet.
À relever toutefois que les « attributions dévolues par la
présente Constitution » font référence, en l’espèce, aux attributions
constitutionnelles de la Cour de cassation décrites à l’article 153. En ses
alinéas 2 et 3, cette norme définit les compétences juridictionnelles. On
dirait a priori qu’il ne s’agit exclusivement que de ces compétences.
Néanmoins, en son alinéa 4, le même article dispose que l’organisation, le fonctionnement et les compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire sont déterminés par une loi organique. Par
le biais de cette délégation, la CSJ exerce, conformément à la Constitution,
toutes les compétences dévolues à la Cour de cassation par la Loi organique
portant statut des magistrats. Une loi qui précise une disposition
constitutionnelle en allant au-delà de ce que prévoit cette dernière ne lui est
pas contraire pour autant. C’est plutôt une conséquence du mécanisme
d’application d’une norme supérieure par une norme inférieure. Ainsi donc,
n’est pas contraire à la Constitution le fait que le Premier Président de la
CSJ ainsi que le Procureur Général de la République se prévalent de l’article
12 pour procéder à des désignations provisoires en cas d’urgence. C’est une
exception dont on ne pourrait pas soutenir qu’elle porte atteinte au principe
de nomination sur proposition du CSM, sous réserve naturellement d’abus
éventuels susceptibles d’être sanctionnés de toutes les façons, dans un État
respectueux du droit.
En tout état de cause, en cas de doute persistant sur le sens à
donner à l’article 223 de la Constitution et sa mise en œuvre par les lois
organiques, il revient à la Cour constitutionnelle de donner une interprétation
officielle et qui s’imposerait à tous. Une révision de la loi n’est donc pas
nécessaire sur ce point.
Il est vrai que l’économie des règles recommande d’avoir une
seule règle pour la même matière plutôt que d’en multiplier inutilement. Sur
cette base, le Projet propose avec raison une même règle pour la Cour de
cassation et le Conseil d’État dont la disposition ne fait pas mention. Mais
l’omission de mentionner le Conseil d’État pourrait être interprétée comme un
choix du législateur qui aurait tenu compte de la complexité des matières qui
ressortissent à la Juridiction judiciaire, lesquelles doivent être traitées,
même en cas d’urgence. Il doit s’agir, sans doute, d’un silence qualifié et non
d’une lacune praeter legem à combler par l’adoption d’une autre
disposition.
Il est étonnant de constater que le Ministre de la Justice
stigmatise ici l’entorse à un principe constitutionnel et légitime ainsi,
peut-être inconsciemment, le déni d’administration de la part du CSM au
détriment de la promotion d’un magistrat. Pourtant, l’article 12 dont est
réclamée la révision sanctionne l’inaction du CSM, sans méconnaître sa
compétence de proposer la promotion de magistrats.
3. La saisine du Procureur Général par le Gouvernement selon
l’article 15
3.1. Le contenu de l’article 15
L’article 15 dispose : « Le
magistrat du Parquet assume sa mission d’Officier du ministère public sous la
direction de l’autorité hiérarchique. Toutefois, sans préjudice des articles
149, 150 et 151 de la Constitution, le Gouvernement peut, sans avoir à
interférer de quelque manière que ce soit dans le cours de l’instruction,
saisir le Procureur général près la Cour de cassation des faits qui relèvent de
sa compétence, afin de mettre l’action publique en mouvement. »
3.2. La motivation de la révision et la
proposition
La Présentation du Projet prétend que l’article 15 institue
« l’injonction » du Gouvernement à l’endroit du Procureur Général
près la Cour de cassation pour les faits infractionnels rentrant dans sa
compétence afin de mettre l’action publique en mouvement. Il ajoute que
« si ce pouvoir d’injonction a été maintenu », c’est parce que, à
teneur des articles 91 et 93 de la Constitution, le Gouvernement conduit la
politique de la Nation; et le Ministre applique le programme du Gouvernement
dans son Ministère, sous la direction et la coordination du Premier Ministre.
Il se fonde au surplus sur les attributions du Ministre de la Justice[7] et tire la conclusion que celui-ci dispose
d’un droit de regard sur les Parquets de la République. Ainsi donc, la
méconnaissance de ce droit serait une consécration du gouvernement des juges
alors que c’est l’Exécutif qui répond devant le Parlement des actes du Pouvoir
judiciaire[8].
Dans sa présentation du Projet, le Ministre de la Justice déploie
une longue plaidoirie en faveur de l’injonction. Il relève que le Procureur
Général près la Cour de cassation, qui héritera du statut du Procureur Général
de la République, ne dispose pas de la plénitude de l’exercice de l’action
publique devant toutes les juridictions du pays. Il n’exerce cette action que
devant la Cour de cassation et à l’égard des faits commis par les justiciables
de cette juridiction. Ce qui signifie qu’il dispose que d’une compétence personnelle
et matérielle. En conséquence, au regard de l’article 12, alinéa 3 du Code de
l’Organisation et de la compétence judiciaires, il ne peut instruire ni
poursuivre des faits commis par les justiciables autres que ceux de la Cour de
cassation que sur injonction du Ministre de la Justice. Cette injonction lui permet
de poursuivre les infractions relevant de la compétence du Tribunal de Paix et
du Tribunal de Grande Instance. Ce pouvoir de poursuite ressortit ordinairement
au Procureur Général près la Cour d’appel, conformément à l’article 13 du Code
de l’Organisation et de la compétence judiciaires[9].
En invoquant l’article 19 du Projet de loi organique
portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires en
discussion au niveau de l’Assemblée Nationale qui a reproduit fidèlement
l’article 12 susvisé, le Projet propose que l’article 15 soit libellé dans les
mêmes termes que les articles 12 et 19 déjà cités, en les combinant avec
l’article 17 du premier Projet.
La présentation du Projet entend par injonction « une
invitation faite au Ministère public à exercer ses pouvoirs légaux
d’instruction et de poursuite. Loin de constituer une immixtion, l’injonction
est une passerelle de collaboration entre les pouvoirs, une passerelle
positive ». Elle « s’oppose ainsi au veto qui est l’invitation à
s’abstenir d’exercer les prérogatives légales. » Elle « incite le
magistrat du Ministère public à exercer les charges de son état et ne rentre
pas dans la direction de l’exercice de l’action publique, direction laissée au
chef hiérarchique du magistrat. » Le Projet en arrive à la conclusion que « l’autorité
et l’injonction ne sont pas contraires à l’indépendance du pouvoir judiciaire
et aucun système judiciaire au monde ne l’ignore sauf en République
Démocratique du Congo si on le veut ainsi. »
De plus, la Présentation du Projet souligne ceci :
« Les articles 5 et 149 combinés de la Constitution renseignent que la
justice est un pouvoir émanant du peuple qui l’exerce par ses mandataires que
sont les magistrats, plus précisément les juges, pour garantir la paix sociale
et l’ordre public. Le Gouvernement ayant en charge la paix sociale et l’ordre
public, il est dès lors concevable que par le canal du Ministre de la Justice,
il puisse inviter le Ministère public à exercer ses prérogatives
légales. » Elle propose, enfin, d’élaguer du texte l’expression sous
réserve des dispositions de l’article 15 de la loi organique n°06/020 du 10
octobre 2006 portant statut des magistrats.
3.3. Les observations
Le Projet prétend que l’article 15 maintient l’injonction. Il la
définit comme une invitation adressée au Procureur Général de la République à
exercer ses prérogatives légales, comme si elle n’était envisageable que dans
les cas où ce magistrat aurait omis ou négligé d’exercer sa fonction. Pourtant
il s’agit d’étendre sa compétence sur les affaires qui n’en relèvent pas. Par
ailleurs, s’il doit exercer ses compétences, il n’a pas besoin d’être invité,
si lui-même peut se rendre compte de l’interruption de la paix sociale ou de
l’atteinte à l’ordre public, d’autant plus que la Police nationale existe et
peut collaborer avec lui. Il ne peut qu’être saisi. C’est cette saisine que
prévoit l’article 15 et qui doit être maintenue. Quant à l’injonction que le Procureur
Général de la République peut donner aux Procureurs généraux et aux Procureurs
de République, elle se comprend du fait de la hiérarchie au sein du Ministère
public. Cela n’est pas le cas dans les relations entre le Pouvoir exécutif et
le Pouvoir judiciaire, lesquels sont deux pouvoirs séparés et donc indépendants.
Le problème ne réside pas dans la définition de l’injonction qui
pourrait toujours être construite pour le besoin de la cause et sans référence
à aucun dictionnaire ordinaire ou juridique ; il est plutôt relatif à la
réalité concrète à laquelle renvoie cette institution.
La source d’inspiration du Projet qu’est l’article 12 de
l’Ordonnance-loi sur l’organisation et la compétence judiciaire de 1982
prévoyant l’injonction est contraire à la Constitution actuelle[10]. D’après cette norme, en dehors de
l’action publique qu’il exerce devant la CSJ pour les cas qui ressortissent à
cette juridiction, le Procureur Général de la République ne peut initier ou
continuer toute autre instruction devant une autre juridiction que sur
injonction du Commissaire d’État à la Justice. Celui-ci proroge, au fond, la
compétence du Procureur Général de la République.
On ne devrait plus s’y référer, même si sa contrariété à la
Constitution n’est pas encore déclarée par la juridiction compétente
conformément à l’article 221 de la Constitution. Ce serait d’ailleurs la raison
pour laquelle l’article 15 adopté sous le régime de l’actuelle Constitution ne
maintient pas l’injonction. Il prévoit plutôt la saisine. Partant, il ne doit
pas être révisé. L’institution d’injonction qui n’est concevable que dans un
système qui entend subordonner le Judiciaire à l’Exécutif constitue un retour
en arrière. Elle est l’expression d’une volonté d’inféoder le Pouvoir
Judiciaire au Pouvoir exécutif et qui ne se justifie aucunement dans un État
qui se veut de droit. Elle dissimulerait l’intention de
« ressusciter » un régime défunt du siècle passé qui ne connaissait
pas la séparation effective des pouvoirs.
Contrairement à la prétention du Projet, il est bel et bien
question d’une immixtion et non d’une passerelle de collaboration entre les
pouvoirs. Dans un régime dictatorial comme celui qui l’a instituée au bénéfice
d’un commissaire, l’injonction ne peut signifier que le fait de donner des
ordres et non une invitation à exercer les prérogatives légales. L’injonction
revêt un caractère formateur et non celui de rappel. Il ne s’agit pas d’une
incompétence négative. C’est plutôt une extension de compétence qui viole la
séparation des pouvoirs et l’indépendance vis-à-vis du Pouvoir législatif et du
Pouvoir exécutif que garantit l’article 149 de la Constitution au Pouvoir judiciaire
comprenant aussi bien les magistrats du siège que ceux du Parquet. Par
conséquent, même si l’article 151 al. 1 ne le cite pas expressément, le
Procureur Général de la République ne doit pas, tout autant que le Juge,
recevoir d’injonction dans l’exercice de ses fonctions. De plus, l’article 15
de la loi portant statut des magistrats n’institue pas l’injonction, mais la
saisine. Il utilise le verbe « saisir » et non enjoindre. Il n’existe
donc pas de raisons juridiques de le réviser.
4. L’action disciplinaire contre les magistrats et
l’automatisation de la révocation d’après l’article 61
4.1. Le contenu de l’article 61
L’article 61 dispose : « L’action disciplinaire demeure distincte et indépendante de l’action répressive
à laquelle peuvent donner lieu les
mêmes faits. Toutefois, en cas
de condamnation définitive à une peine privative de liberté supérieure à trois mois, le
magistrat est révoqué d’office. »
4.2. La motivation de la révision et la proposition
D’après le Projet, l’article 61 déroge au principe général
selon lequel le magistrat n’est révoqué qu’à la suite d’une faute disciplinaire
déclarée et établie par le CSM, dès lors qu’elle permet la révocation du
magistrat qui a fait l’objet d’une condamnation pénale.
Le même Projet relève que dans sa formulation actuelle, la
disposition reste, pour plusieurs raisons, en deçà des attentes sur la sévérité
de la sanction ayant pour objectif l’amélioration du fonctionnement de la
justice pour plusieurs raisons. La première raison est un constat selon lequel pour
éviter la révocation du magistrat, les juridictions prennent soin de ne pas
prononcer une peine privative de liberté supérieure à trois mois ou d’y
substituer une peine d’amende. Ainsi, un magistrat condamné du chef d’une
infraction, même infamante, poursuit sa carrière normalement dès lors que la
peine prononcée n’est pas l’emprisonnement ou ne dépasse pas trois mois.
La deuxième raison est que la norme ne prend pas suffisamment en
compte la nature et la conséquence de la condamnation d’un magistrat. Pourtant
toute condamnation d’un magistrat doit s’analyser en désaveu de l’acte posé par
celui-ci. Elle consacre un manquement aux devoirs de son état, à l’honneur ou à
la dignité de ses fonctions. Aussi, prononcée définitivement, toute
condamnation doit-elle entrainer la révocation de son auteur exclusivement en
matière d’infraction intentionnelle.
Une troisième raison est que la l’article 61 passe sous silence
de nombreuses condamnations de nature civile prononcées en l’encontre du
magistrat pour les actes commis dans ou à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions. C’est notamment le cas des condamnations intervenues à la suite de
la procédure de prise à partie pour concussion ou dol commis soit dans le cours
de l’instruction, soit lors de la décision rendue et à l’issue de laquelle la
République est systématiquement condamnée au paiement de forts dommages et
intérêts en sa qualité de civilement responsable. Le constat de cette insuffisance
justifie amplement la modification de l’article 61 du statut des magistrats en
l’étendant aux condamnations pénales pour infraction intentionnelle et aux
condamnations de nature civile.
D’après le Projet, indépendamment de l’action disciplinaire, le
magistrat sera désormais révoqué à la suite d’une condamnation définitive à une
peine de servitude pénale, quel qu’en soit le taux, ou à une amende pour
infraction intentionnelle, ou à la suite d’une condamnation définitive
consécutive à une prise à partie pour dol ou concussion. En outre, dans le but
de préserver la dignité du corps, sera interdit d’exercer ses fonctions jusqu’à
la clôture définitive de la procédure engagée le magistrat qui sera
poursuivi pénalement pour infraction intentionnelle ou pris à partie pour dol
ou concussion, et dont l’autorisation de poursuite sera accordée par le
Président de la CSJ pour ce dernier cas.
4.3. Les observations
Certes, en évitant d’infliger à leurs pairs une peine pouvant
donner lieu à révocation, les magistrats se protègent par solidarité mais au
détriment de la justice. Cela est inadmissible et doit être sanctionné. De
plus, la condamnation aux dommages et intérêts constitue une sanction qui doit
avoir un impact sur la fonction des magistrats, en guise de prévention
générale. Néanmoins, la constitutionnalité de la proposition d’une révocation
automatique mérite d’être examinée au regard de la compétence du CSM de
proposer notamment la révocation des magistrats. En effet, la Constitution
reconnaît au CSM le pouvoir de proposer la révocation des magistrats qui, elle,
est prononcée par le Président de la République (art. 152 al. 3 et 82). Or, en
proposant la révocation automatique du magistrat condamné à l’issue d’une prise
à partie, le Ministre de la Justice prétend que la compétence du CSM n’est pas
entamée, car c’est lui qui constatera la condamnation et proposera la
révocation. Mais si la révocation est automatique, c’est-à-dire ex lege,
comment peut-on encore la proposer ? On ne peut que la déclarer.
Néanmoins, la déclaration d’une révocation suppose la
réalisation des conditions légales par le comportement du magistrat en cause. On
pourrait alors comprendre d’une autre façon le rôle du CSM. Il se réduirait
dans ce cas à vérifier la typicité de l’acte du magistrat concerné,
c’est-à-dire sa conformité à l’énoncé de fait légal. La conclusion de cette
conformité mettrait alors le CSM en position de requérir du Président de la
République la déclaration de révocation de ce magistrat.
De toutes les manières, cette procédure consistant à constater une
condamnation assortie d’une révocation qui ne peut être que déclarée et non décidée
ne viole-t-elle pas la Constitution qui prévoit la révocation des magistrats sur
proposition CSM ? Cette proposition ne porte pas, en effet, sur la
déclaration d’une révocation déjà encourue, mais sur une révocation devant être
prononcée. Il doit s’agir d’une décision formatrice et non constatatoire[11]. Sur ce point, la proposition de révision
paraît contraire à la Constitution.
Il est curieux d’observer que, pour la révocation automatique,
l’Exposé des motifs ne tient pas compte du principe constitutionnel qu’il
défend pour la promotion (cf. supra : sous : 2.3). Il fait une
proposition de l’article 161 qui reprend, mutatis mutandis l’esprit de
12 al. 3. Tout en envisageant la révocation automatique du magistrat condamné
pour concussion, dol ou déni de justice dans une procédure de prise à partie,
il recourt, par respect pour la Constitution, à la proposition de révocation
par le CSM. Comment peut-on proposer une révocation automatique subie du fait
de réaliser les conditions prévues par la disposition légale ? La
cohérence aurait voulu qu’il reprenne le même raisonnement et renonce à sa
proposition d’élargir les possibilités de révocation automatique qui porte
atteinte à la compétence du CSM. Sa proposition aurait consisté plutôt en la
suppression de toute révocation automatique, en dehors de la procédure
disciplinaire, à l’issue de laquelle le CSM peut adresser au Président de la
République une proposition de révocation d’un magistrat fautif. Cela ne
signifie pas que la sanction pénale n’est pas à prendre en compte. Elle devrait
être assimilée à une faute disciplinaire.
Faut-il conclure ? Dans le Préambule
de la Constitution, le peuple congolais s’engage à faire de la RDC un État de
droit. Aussi, toute révision législative qui poursuit cet idéal et qui
contribue à l’amélioration de notre système juridique est à encourager, étant
donné surtout que plusieurs lois édictées avant la Constitution actuelle posent
le grave problème de leur conformité à celle-ci. Cela étant, la priorité
devrait être donnée à leur révision et non à celles qui ont été promulguées
sous le régime de la Constitution en vigueur, comme c’est le cas en l’espèce.
La loi portant statut des magistrats est de 2006. Elle n’a que 4 ans
d’existence, pendant qu’il en existe plusieurs, même celles qui datent de
l’époque coloniale, et qui n’ont jamais été modifiées, en dépit du changement
de système constitutionnel. De plus, hormis la disposition appelée à combler la
lacune de l’article 4 en lui ajoutant un alinéa, les autres propositions du
Projet constituent une violation de la Constitution et veulent restaurer une
justice des ministres. La motivation y relative et contenue dans le Projet ne
paraît pas suffisamment convaincante.
Ces remarques révèlent la nécessité d’envisager
dans la procédure d’adoption des lois au Congo-Kinshasa une sorte de
« droit d’être entendu » des destinataires, en prévoyant la
consultation des milieux concernés par la matière en cause et des juristes
patentés aux opinions divergentes, voire contradictoires. Aussi, chaque
avant-projet de loi devrait leur être soumis pour avis et observations, en vue
d’améliorer la qualité matérielle du le texte à soumettre au vote du Parlement.
Cette suggestion vaut également pour chaque proposition de loi avant sa
soumission au vote du Législateur. Cela éviterait d’avoir des lois qui posent
plus de problèmes juridiques qu’elles ne les résolvent, à l’instar du présent
Projet. Aussi, même s’il advient au Parlement de l’adopter ce Projet, le Juge
constitutionnel, lors de l’examen de sa conformité à la Constitution ne devrait
pas en cautionner les inconstitutionnalités. Sa crédibilité en dépend.
Constantin Yatala Nsomwe Ntambwe
Docteur en Droit
Ci-après l’intégralité de la Présentation du Projet
[1] Devant l’impossibilité,
peut-être uniquement subjective, d’accéder au Projet proprement dit, je me suis
contenté de sa Proposition qui est suffisamment explicative de la quintessence
des manières dont la révision est proposée. Ce d’autant plus que l’intérêt du
juriste porte davantage sur la motivation de la révision que sur la révision
elle-même.
[2] Article 1er : « Nul ne peut être nommé
magistrat s’il ne réunit les conditions énumérées ci-après : 1. posséder la
nationalité congolaise ; 2. être âgé d’au moins vingt et un ans accomplis et
n’avoir pas dépassé l’âge de quarante ans ; 3. jouir de la plénitude de ses
droits civiques ; 4. jouir d’une parfaite moralité attestée par un certificat
délivré par une autorité administrative et par un extrait de casier judiciaire
; 5. posséder les aptitudes physiques et mentales attestées par un certificat
médical daté de moins de trois mois au dépôt du dossier au Secrétariat
permanent du Conseil supérieur de la magistrature ; 6. être titulaire d’un
diplôme de docteur ou de licencié en droit délivré par une université nationale
publique ou privée légalement agréée ou d’un diplôme délivré par une université
étrangère déclaré équivalent conformément à la législation congolaise sur
l’équivalence des diplômes ; 7. s’il s’agit d’une personne mariée, produire un
extrait d’acte de mariage. »
[3] Article 2 : « Le recrutement
s’effectue sur concours. Il peut se faire sur titre lorsque le nombre de
candidats ne dépasse pas celui de postes à pourvoir. Tout recrutement est
effectué à l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature et requiert une
publicité préalable par voie d’avis officiel dans tous les chefs-lieux des
provinces, fixant un délai utile pour l’introduction des candidatures. Le
Secrétariat permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature organise la
constitution et le dépôt des dossiers ainsi que le déroulement des concours
dans tous les chefs-lieux des provinces. Ne sont retenus, à l’issue du concours,
que les candidats ayant obtenu les points au-dessus de la moyenne requise et
classés en ordre utile eu égard au nombre de postes à pourvoir. Les candidats
non retenus mais ayant obtenu le minimum des points requis sont portés sur une
liste de réserve permettant leur nomination, par ordre de classement, au fur et
à mesure des vacances de postes, endéans trois ans. Aucun nouveau concours ne
peut être organisé avant l’épuisement de cette liste. »
[4] Article 3 : « Sont dispensés du
concours, les candidats ayant exercé comme Avocat durant au moins cinq ans. »
[5] Article 4 : « Les candidats
retenus sur base des articles 1, 2 et 3 ci-dessus sont, sur proposition du
Conseil supérieur de la magistrature, nommés Substituts du Procureur de la
République, par le Président de la République. Ils sont admis à l’école
supérieure de la magistrature et soumis à un stage de douze mois dont
l’organisation est fixée par le Conseil supérieur de la magistrature. À l’issue
de ce stage, un rapport ad hoc est obligatoirement dressé par le Procureur de
la République. »
[6] Article 12 : « En cas
d’urgence, le Premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du
siège ou le Procureur général près cette cour pour ceux du Parquet, peut
désigner provisoirement à un grade immédiatement supérieur, tout magistrat
remplissant les conditions prévues à l’alinéa 1er de l’article 11. Cette désignation
est soumise à l’approbation de la plus proche réunion du Conseil supérieur de
la magistrature. Au cas où le Conseil Supérieur de la Magistrature ne se
prononce pas ou est dans l’impossibilité de siéger endéans deux ans, le
magistrat ainsi désigné acquiert de plein droit le grade proposé. Dans ce cas,
le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature transmet le dossier au
Président de la République pour nomination. »
[7] L’article 1er de l’ordonnance n°08/074
du 24 décembre 2008 fixant les attributions des Ministères, dispose : - en son
point A, 1er tiret : « les Ministres conçoivent, élaborent et assurent la
mise en œuvre de la politique du Gouvernement dans les secteurs qui leur sont
confiés » ;- en son point B.6 : « Le Ministre de la Justice exécute
la politique judiciaire du Gouvernement. »
[8] Mais la Présentation ne dit pas que ce droit de regard pourrait
a contrario consacrer la Justice des ministres, ce à quoi s’oppose le
principe de l’indépendance du Pouvoir judiciaire.
[9] Cette disposition dit :
« L’exercice
de l’action publique dans toute sa
plénitude et devant toutes les juridictions
de son ressort appartient au Procureur Général près la Cour
d’appel ».
[10] Cet article dispose : « - Le procureur général de la République
exerce près la Cour suprême de justice, les fonctions du ministère public, en
ce compris l'action publique. Il peut cependant, sur injonction du commissaire
d'État à la justice, initier ou continuer toute instruction préparatoire
portant sur des faits infractionnels qui ne ressortent pas de la compétence de
la Cour suprême de justice. Il peut également, sur injonction du commissaire
d'État à la justice ou d'office et pour l'exécution des mêmes devoirs, faire
injonction aux procureurs généraux, près la cour d'appel et la Cour de sûreté
de l'État. De même, le procureur général de la République peut, sur injonction
du commissaire d'État à la justice, requérir et soutenir l'action publique
devant tous les cours et tribunaux à tous les niveaux. Le procureur général de
la République a un droit de surveillance et d'inspection sur les parquets
généraux près les cours d'appel et la Cour de sûreté de l'État. Un ou plusieurs
premiers avocats généraux et avocats généraux assistent le procureur général de
la République. Ils exercent leurs fonctions du ministère public sous sa
surveillance et sa direction. » À noter
que pareillement est contraire à la Constitution l’article 19 du Projet de loi
organique portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires,
en discussions à l’Assemblée nationale.
[11] Cette situation fait penser au Droit ecclésial qui prévoit deux sortes de
peine : latae sententiae et ferendae sententiae. La première
est encourue automatiquement, sans jugement, du seul fait de la commission du délit assortie de cette peine ; la
seconde doit être prononcée dans une sentence par l’autorité compétente (cf.
canon 1314).
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