La « résurrection juridique » de la Commission
électorale indépendante par la Cour suprême de justice (Arrêt du 27 août 2007,
R. Const.055/ TSR)
Introduction
Cette étude peut paraître
inopportune du fait que l’arrêt de la Cour suprême de justice (CSJ) qui en fait
l’objet a été rendu en 2007. Mais cet arrêt consacre pour la Cour
constitutionnelle un pouvoir méta-constitutionnel à même de frayer une large
brèche à l’arbitraire. C’est pourquoi, il nous a paru important de relever quelques
questions juridiques qui ne peuvent pas laisser indifférent tout juriste
curieux et qui demeurent discutables.
En effet, d’aucuns se
demandent pourquoi la Commission électorale indépendante (ci-après : la
CEI) continue de fonctionner, pourtant l’article 211 de la Constitution
institue la Commission électorale nationale indépendante (ci-après : CENI)[1].
L’existence juridique de celle-là est fondée sur la Constitution de la
Transition (article 154) même si elle a organisé des élections sous le régime de
la Constitution actuelle. Le retard du Parlement dans l’adoption de la loi
organique sur la CENI ne doit pas justifier le maintien d’une institution
défunte agissant en violation de la Constitution et posant ainsi des actes nuls
et de nul effet.
L’arrêt de la CSJ sur lequel
porte la présente étude a légitimé cette situation. À la demande du Président
de la CEI, datée du 21 juillet 2007, la CSJ, en sa qualité de juridiction
constitutionnelle conformément à l’article 223 de la Constitution, a, en date
du 27 août 2007, autorisé la CEI à parachever le processus électoral commencé
depuis 2005, jusqu’à l’installation effective de la CENI. La motivation de cette décision invoque le principe
de la continuité et de la régularité des services publics pour éviter un vide
institutionnel. Par conséquent, on peut soutenir que la CEI agit en conformité
avec le droit, même si la question demeure concernant le sort de tous les actes
qu’elle aurait posés depuis sa dissolution constitutionnelle, jusqu’à sa
« résurrection juridique » par la CSJ.
Cette décision peut susciter
des questions relatives à la capacité juridique de la CEI (1) à la compétence
de la CSJ en la matière (2) et à la raison d’être de la prorogation du mandat
de la CEI au regard de la volonté supposée du Constituant (3).
1. La capacité juridique de la CEI
Avec l’installation effective
du Parlement le 3 février 2007, la CEI n’était plus une institution d’appui à
la démocratie, en vertu de l’article 222, al. 2 de la Constitution du 18
février 2006. Elle n’avait qu’une existence de fait pour s’occuper de sa
liquidation, comme le reconnaît d’ailleurs aussi bien son président dans sa
requête que la CSJ dans sa motivation. La CEI pouvait-elle demander de
re-exister juridiquement et de se voir autoriser à continuer le processus
électoral de depuis 2005 ? Car, au fond, il ne s’agit pas d’une
prorogation de mandat, mais de ce qu’on pourrait appeler « résurrection
juridique » d’une institution défunte. Celle-ci est-elle capable de poser
des actes juridiques ?
Cette dernière question ne se
serait pas posée si la CEI avait agi avant le 3 février 2007. Néanmoins, pourquoi
a-t-elle attendu 5 mois d’inexistence juridique pour demander d’être « ressuscitée » par
la CSJ ? De toutes les façons, une inexistence juridique ne peut pas avoir
la capacité d’agir en droit[2].
À supposer même que la CEI ait introduit la « demande de prorogation de
son mandat » avant la date fatidique du 3 mars 2007, quel pouvait en être
le fondement légal ?
La CSJ ayant motivé sa décision en invoquant la volonté du Constituant, on
pourrait penser à une interprétation de la disposition constitutionnelle sur la
dissolution de la CEI. Mais cette dernière ne peut pas formuler une demande en
interprétation de la Constitution. D’après l’article 161, une telle requête ne
peut être adressée à la Cour constitutionnelle que par le Président de la
République, le Gouvernement, le Président du Sénat, le Président de l'Assemblée
nationale, un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, les
Gouverneurs de province et les Présidents des Assemblées provinciales. Cette
liste est exhaustive et n’est pas susceptible d’être rallongée. Aussi, la CEI
n’est-elle pas habilitée à saisir la Cour constitutionnelle par un recours en
interprétation. D’ailleurs, elle n’a pas formé un pareil
recours, mais une autorisation de proroger son mandat qui peut se comprendre en
réalité comme une demande de « résurrection constitutionnelle »,
puisqu’elle n’existait plus depuis plus de cinq mois et était absolument
incapable d’agir juridiquement, en dehors des questions relatives à sa
liquidation. Se pose dès lors la question de la compétence matérielle de la CSJ
à laquelle la demande a été soumise.
2. La compétence de la CSJ en tant que Cour constitutionnelle
En agissant comme Cour
constitutionnelle, en vertu de l’article 223 de la Constitution, la CSJ
a-t-elle compétence pour « ressusciter » une institution défunte
constitutionnellement ? La réponse à cette question passe par l’examen des
compétences de la Cour constitutionnelle. Elles sont prévues aux articles 160
ss de la Constitution. Hormis ses compétences pénales, la Cour
constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi et interprète la constitution.
Elle tranche aussi les conflits de compétences entre les deux autres pouvoirs
traditionnels ainsi que les contentieux électoraux et référendaires. Dans le
cas d’espèce, il ne s’agit pas d’un contrôle de constitutionnalité d’un acte
législatif, ni d’une requête en interprétation de la Constitution, ni d’un
conflit de compétences, ni d’un contentieux électoral ou référendaire. Il
s’agit d’une autorisation de revenir à l’existence juridique.
Les compétences de
la Cour constitutionnelle sont clairement définies par la Constitution. Celle-ci ne lui reconnaît pas une compétence administrative permettant
d’autoriser la reviviscence d’une institution dissoute constitutionnellement. De
quelle norme fondamentale et méta-constitutionnelle (Grundnorm) la CSJ a-t-elle tiré pareille compétence ? Est-elle
compétente pour s’octroyer des compétences en vertu de l’esprit qu’elle peut
donner au Constituant ? Peut-elle se substituer à l’autorité constituante dont
elle tient son existence et ses compétences ? De plus, en vertu du
principe du parallélisme des formes, ne fallait-il pas procéder à une révision
constitutionnelle ? La CSJ aurait dû motiver sérieusement sa compétence au
lieu de se substituer au Constituant congolais et de se muer en administrateur,
en se fondant sur un pouvoir régulateur sans base constitutionnelle claire.
Pour nous, la CSJ aurait même
dû déclarer son incompétence et laisser le Parlement devant ses responsabilités.
Quant à la volonté du Constituant d'éviter tout vide juridique et d'assurer la
stabilité des institutions, il aurait fallu que le Gouvernement et le Parlement
de transition accordent la priorité aux lois organiques pour pouvoir être en
règle avec la Constitution. Aussi la question du mandat de la CEI ne serait pas
posée.
3. Le mandat de la CEI et la volonté supposée du Constituant
La demande par la CEI ainsi
que l’autorisation par la CSJ de proroger son mandat posent un autre problème
au regard de la volonté du Constituant congolais telle qu’elle est interprétée
dans l’arrêt étudié. En effet, de l’interprétation systématique et téléologique
des alinéas 1 et 2 de l’article 222 de la Constitution la CSJ a déduit que la
CEI, comme institution au service des institutions politiques doit, à l’instar
de ces dernières, rester en fonction jusqu’à l’installation effective de la
CENI. Dès lors, la requête de la CEI et l’autorisation de la CSJ n’avaient pas
leur raison d’être, car on ne peut pas demander le mandat que l’on a, ni
autoriser de proroger un mandat qui n’as pas pris fin, d’après la volonté
supposée du Constituant. En conséquence, il n’existe pas de vide institutionnel,
ni de lacune constitutionnelle. Néanmoins, la requête déclarée recevable et
l’autorisation de proroger le mandat signifient que la CEI était déjà dissoute
constitutionnellement. En outre, elle n’est pas concernée par l’alinéa 1 de
l’article 222, sinon, le Constituant n’allait pas prévoir l’alinéa 2 du
même article, ni celle de l’article 223 concernant les juridictions. De même se
serait-il contenté d’une formule large du genre : « Les institutions
de la Transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des
institutions correspondantes ». En l’occurrence, tel n’est pas le cas. La
CSJ aurait-elle donc ignoré pour le besoin de la cause ces principes généraux
du droit : « Specialia
generalibus derogant » et « Legi
speciali per generalem non derogantur » ?
Conclusion
Cet arrêt vient de créer un
précédent dangereux pour l’avenir de la Constitution congolaise[3].
Elle laisse ouvertes plusieurs questions dont les suivantes : Une
inexistence juridique peut-elle accomplir des actes juridiques ? La Cour
constitutionnelle est-elle compétence pour traiter de toutes les questions
constitutionnelles, voire pour combler des lacunes de la Constitution ?
Peut-elle contrôler la « constitutionnalité » des normes
constitutionnelles, c’est-à-dire leur conformité à la volonté du Constituant en
se substituant à ce dernier par la création de nouvelles normes ?
Enfin, il se pourrait que les
élections générales n’aient pas lieu en 2011. Dans cette éventualité, le Président de la
République, les deux chambres du Parlement et les Assemblées provinciales ainsi
que les Gouverneurs des provinces pourraient-ils demander à la Cour
constitutionnelle de proroger leurs mandats respectifs ? Lorsqu’il existe
une possibilité de le prévenir, faudrait-il attendre le vide institutionnel
pour recourir à la Cour constitutionnelle ? Ce serait le droit en
l’envers. À la CSJ de procéder au revirement de sa jurisprudence, en attendant
l’effectivité de son éclatement en trois hautes cours, afin de léguer à la
véritable Cour constitutionnelle un héritage jurisprudentiel qui n’est pas trop
controversé.
Constantin
YATALA NSOMWE NTAMBWE
Docteur en
droit
[1] Par ailleurs, une autre institution d’appui à la démocratie de la
transition, la Haute autorité des médias (HAM), a déjà été remplacée par une
autre qui est déjà opérationnelle : le Conseil supérieur de
l’audiovisuel et de la communication institué par l’article112 de la
constitution (sic) [il y a erreur grave d’écriture, car c’est en fait l’article
212 de la constitution, lorsqu’on tient compte de la disposition précédente (article
211) et de la suivante (article 213)]. Sa mise en place était-elle plus urgente
que celle de la CENI ?
[2] Quant à la qualité pour agir du président de la CEI qui l’a
représentée, on peut se demander si en droit congolais, on peut représenter une
structure sans personnalité juridique ?
[3] L’arrêt est dans la ligne de la récente
jurisprudence de la CSJ au sujet du délai constitutionnel entre le 1er
et le second tour de l’élection présidentielle de 2006. Notre Haute Cour avait
renvoyé à plus de 45 jours ce tour que la Constitution, en son article 71 al.
1, fixe à 15 jours (CSJ, 1er septembre 2006, R. const 38/ TSR). Cette disposition constitutionnelle reste encore en
vigueur pour être éventuellement violée aux présidentielles prochaines, en cas
d’un deuxième tour. Ne faudrait-il pas la modifier dès maintenant, en fixant un
délai raisonnable de 60 jours par exemple, pour prévenir toute violation
constitutionnelle ultérieure ?
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