mercredi 9 avril 2014

La résurrection juridique de la CEI en RDC



La « résurrection juridique » de la Commission électorale indépendante par la Cour suprême de justice (Arrêt du 27 août 2007, R. Const.055/ TSR)

Introduction
Cette étude peut paraître inopportune du fait que l’arrêt de la Cour suprême de justice (CSJ) qui en fait l’objet a été rendu en 2007. Mais cet arrêt consacre pour la Cour constitutionnelle un pouvoir méta-constitutionnel à même de frayer une large brèche à l’arbitraire. C’est pourquoi, il nous a paru important de relever quelques questions juridiques qui ne peuvent pas laisser indifférent tout juriste curieux et qui demeurent discutables.
En effet, d’aucuns se demandent pourquoi la Commission électorale indépendante (ci-après : la CEI) continue de fonctionner, pourtant l’article 211 de la Constitution institue la Commission électorale nationale indépendante (ci-après : CENI)[1]. L’existence juridique de celle-là est fondée sur la Constitution de la Transition (article 154) même si elle a organisé des élections sous le régime de la Constitution actuelle. Le retard du Parlement dans l’adoption de la loi organique sur la CENI ne doit pas justifier le maintien d’une institution défunte agissant en violation de la Constitution et posant ainsi des actes nuls et de nul effet.
L’arrêt de la CSJ sur lequel porte la présente étude a légitimé cette situation. À la demande du Président de la CEI, datée du 21 juillet 2007, la CSJ, en sa qualité de juridiction constitutionnelle conformément à l’article 223 de la Constitution, a, en date du 27 août 2007, autorisé la CEI à parachever le processus électoral commencé depuis 2005, jusqu’à l’installation effective de la CENI. La motivation de cette décision invoque le principe de la continuité et de la régularité des services publics pour éviter un vide institutionnel. Par conséquent, on peut soutenir que la CEI agit en conformité avec le droit, même si la question demeure concernant le sort de tous les actes qu’elle aurait posés depuis sa dissolution constitutionnelle, jusqu’à sa « résurrection juridique » par la CSJ.
Cette décision peut susciter des questions relatives à la capacité juridique de la CEI (1) à la compétence de la CSJ en la matière (2) et à la raison d’être de la prorogation du mandat de la CEI au regard de la volonté supposée du Constituant (3).
1. La capacité juridique de la CEI
Avec l’installation effective du Parlement le 3 février 2007, la CEI n’était plus une institution d’appui à la démocratie, en vertu de l’article 222, al. 2 de la Constitution du 18 février 2006. Elle n’avait qu’une existence de fait pour s’occuper de sa liquidation, comme le reconnaît d’ailleurs aussi bien son président dans sa requête que la CSJ dans sa motivation. La CEI pouvait-elle demander de re-exister juridiquement et de se voir autoriser à continuer le processus électoral de depuis 2005 ? Car, au fond, il ne s’agit pas d’une prorogation de mandat, mais de ce qu’on pourrait appeler « résurrection juridique » d’une institution défunte. Celle-ci est-elle capable de poser des actes juridiques ?
Cette dernière question ne se serait pas posée si la CEI avait agi avant le 3 février 2007. Néanmoins, pourquoi a-t-elle attendu 5 mois d’inexistence juridique pour  demander d’être « ressuscitée » par la CSJ ? De toutes les façons, une inexistence juridique ne peut pas avoir la capacité d’agir en droit[2]. À supposer même que la CEI ait introduit la « demande de prorogation de son mandat » avant la date fatidique du 3 mars 2007, quel pouvait en être le fondement légal ? 
La CSJ ayant motivé sa décision en invoquant la volonté du Constituant, on pourrait penser à une interprétation de la disposition constitutionnelle sur la dissolution de la CEI. Mais cette dernière ne peut pas formuler une demande en interprétation de la Constitution. D’après l’article 161, une telle requête ne peut être adressée à la Cour constitutionnelle que par le Président de la République, le Gouvernement, le Président du Sénat, le Président de l'Assemblée nationale, un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, les Gouverneurs de province et les Présidents des Assemblées provinciales. Cette liste est exhaustive et n’est pas susceptible d’être rallongée. Aussi, la CEI n’est-elle pas habilitée à saisir la Cour constitutionnelle par un recours en interprétation. D’ailleurs, elle n’a pas formé un pareil recours, mais une autorisation de proroger son mandat qui peut se comprendre en réalité comme une demande de « résurrection constitutionnelle », puisqu’elle n’existait plus depuis plus de cinq mois et était absolument incapable d’agir juridiquement, en dehors des questions relatives à sa liquidation. Se pose dès lors la question de la compétence matérielle de la CSJ à laquelle la demande a été soumise.
2. La compétence de la CSJ en tant que Cour constitutionnelle
En agissant comme Cour constitutionnelle, en vertu de l’article 223 de la Constitution, la CSJ a-t-elle compétence pour « ressusciter » une institution défunte constitutionnellement ? La réponse à cette question passe par l’examen des compétences de la Cour constitutionnelle. Elles sont prévues aux articles 160 ss de la Constitution. Hormis ses compétences pénales, la Cour constitutionnelle contrôle la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi et interprète la constitution. Elle tranche aussi les conflits de compétences entre les deux autres pouvoirs traditionnels ainsi que les contentieux électoraux et référendaires. Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’un contrôle de constitutionnalité d’un acte législatif, ni d’une requête en interprétation de la Constitution, ni d’un conflit de compétences, ni d’un contentieux électoral ou référendaire. Il s’agit d’une autorisation de revenir à l’existence juridique.
Les compétences de la Cour constitutionnelle sont clairement définies par la Constitution. Celle-ci ne lui reconnaît pas une compétence administrative permettant d’autoriser la reviviscence d’une institution dissoute constitutionnellement. De quelle norme fondamentale et méta-constitutionnelle (Grundnorm) la CSJ a-t-elle tiré pareille compétence ? Est-elle compétente pour s’octroyer des compétences en vertu de l’esprit qu’elle peut donner au Constituant ? Peut-elle se substituer à l’autorité constituante dont elle tient son existence et ses compétences ? De plus, en vertu du principe du parallélisme des formes, ne fallait-il pas procéder à une révision constitutionnelle ? La CSJ aurait dû motiver sérieusement sa compétence au lieu de se substituer au Constituant congolais et de se muer en administrateur, en se fondant sur un pouvoir régulateur sans base constitutionnelle claire.
Pour nous, la CSJ aurait même dû déclarer son incompétence et laisser le Parlement devant ses responsabilités. Quant à la volonté du Constituant d'éviter tout vide juridique et d'assurer la stabilité des institutions, il aurait fallu que le Gouvernement et le Parlement de transition accordent la priorité aux lois organiques pour pouvoir être en règle avec la Constitution. Aussi la question du mandat de la CEI ne serait pas posée.


3. Le mandat de la CEI et la volonté supposée du Constituant
La demande par la CEI ainsi que l’autorisation par la CSJ de proroger son mandat posent un autre problème au regard de la volonté du Constituant congolais telle qu’elle est interprétée dans l’arrêt étudié. En effet, de l’interprétation systématique et téléologique des alinéas 1 et 2 de l’article 222 de la Constitution la CSJ a déduit que la CEI, comme institution au service des institutions politiques doit, à l’instar de ces dernières, rester en fonction jusqu’à l’installation effective de la CENI. Dès lors, la requête de la CEI et l’autorisation de la CSJ n’avaient pas leur raison d’être, car on ne peut pas demander le mandat que l’on a, ni autoriser de proroger un mandat qui n’as pas pris fin, d’après la volonté supposée du Constituant. En conséquence, il n’existe pas de vide institutionnel, ni de lacune constitutionnelle. Néanmoins, la requête déclarée recevable et l’autorisation de proroger le mandat signifient que la CEI était déjà dissoute constitutionnellement. En outre, elle n’est pas concernée par l’alinéa 1 de l’article 222, sinon, le Constituant n’allait pas prévoir l’alinéa 2 du même article, ni celle de l’article 223 concernant les juridictions. De même se serait-il contenté d’une formule large du genre : « Les institutions de la Transition restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes ». En l’occurrence, tel n’est pas le cas. La CSJ aurait-elle donc ignoré pour le besoin de la cause ces principes généraux du droit : « Specialia generalibus derogant » et « Legi speciali per generalem non derogantur » ? 
Conclusion
Cet arrêt vient de créer un précédent dangereux pour l’avenir de la Constitution congolaise[3]. Elle laisse ouvertes plusieurs questions dont les suivantes : Une inexistence juridique peut-elle accomplir des actes juridiques ? La Cour constitutionnelle est-elle compétence pour traiter de toutes les questions constitutionnelles, voire pour combler des lacunes de la Constitution ? Peut-elle contrôler la « constitutionnalité » des normes constitutionnelles, c’est-à-dire leur conformité à la volonté du Constituant en se substituant à ce dernier par la création de nouvelles normes ?
Enfin, il se pourrait que les élections générales n’aient pas lieu en 2011. Dans  cette éventualité, le Président de la République, les deux chambres du Parlement et les Assemblées provinciales ainsi que les Gouverneurs des provinces pourraient-ils demander à la Cour constitutionnelle de proroger leurs mandats respectifs ? Lorsqu’il existe une possibilité de le prévenir, faudrait-il attendre le vide institutionnel pour recourir à la Cour constitutionnelle ? Ce serait le droit en l’envers. À la CSJ de procéder au revirement de sa jurisprudence, en attendant l’effectivité de son éclatement en trois hautes cours, afin de léguer à la véritable Cour constitutionnelle un héritage jurisprudentiel qui n’est pas trop controversé.

                                                           Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
                                                           Docteur en droit




[1] Par ailleurs, une autre institution d’appui à la démocratie de la transition, la Haute autorité des médias (HAM), a déjà été remplacée par une autre qui est déjà opérationnelle : le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication institué par l’article112 de la constitution (sic) [il y a erreur grave d’écriture, car c’est en fait l’article 212 de la constitution, lorsqu’on tient compte de la disposition précédente (article 211) et de la suivante (article 213)]. Sa mise en place était-elle plus urgente que celle de la CENI ?
[2] Quant à la qualité pour agir du président de la CEI qui l’a représentée, on peut se demander si en droit congolais, on peut représenter une structure sans personnalité juridique ?
[3] L’arrêt est dans la ligne de la récente jurisprudence de la CSJ au sujet du délai constitutionnel entre le 1er et le second tour de l’élection présidentielle de 2006. Notre Haute Cour avait renvoyé à plus de 45 jours ce tour que la Constitution, en son article 71 al. 1, fixe à 15 jours (CSJ, 1er septembre 2006, R. const 38/ TSR). Cette disposition constitutionnelle reste encore en vigueur pour être éventuellement violée aux présidentielles prochaines, en cas d’un deuxième tour. Ne faudrait-il pas la modifier dès maintenant, en fixant un délai raisonnable de 60 jours par exemple, pour prévenir toute violation constitutionnelle ultérieure ?

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