La révision constitutionnelle et l'intangibilité de l'article 220 de la
Constitution congolaise
À la question "Peut-on réviser la Constitution de
la République Démocratique du Congo (RDC) ?", le juriste répondra: il
faut interroger cette Constitution. D'après celle-ci, on peut réviser les
dispositions constitutionnelles, à l'exception de celles qui sont intangibles,
en vertu de l'article 220. La critique de leur intangibilité et la proposition
de leur révisabilité sous prétexte de leur prétendue inutilité et pour laisser
libres les générations à venir relèvent des considérations philosophiques,
politiques, voire idéologiques. Le juriste ne peut faire siennes cette critique
et cette proposition sans trahir, quelque part la science juridique.
Le Titre VII de la Constitution congolaise consacre
trois articles à la révision constitutionnelle. L'article 218, tel que modifié
par l'art. 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant
révision de certains articles de La Constitution de la République Démocratique
du Congo, traite de l'initiative et de la procédure de la révision; les articles
219 et 220 fixent respectivement les limites conjoncturelles et matérielles de la
révision constitutionnelle. L'article 220, qui concerne notre propos, prévoit
l'intangibilité de certaines matières qui sont des fondamentaux de la IIIe
République. La question que doit se poser le juriste n'est pas de savoir s'il
est bon ou pas de prévoir des matières intangibles; elle relèverait d'une
certaine morale juridique. La question juridique est celle de savoir si
l'article 220 est, lui-même, susceptible de révision. Autrement dit, la norme
instituant l'irrévisabilité peut-elle être révisée sans porter atteinte à l'intangibilité
et, donc, sans verser dans l'inconstitutionnalité? Cette question juridique sera
étudiée selon le plan suivant: I. La procédure de révision constitutionnelle; II.
Les limites autonomes de la révision constitutionnelle; III. La souveraineté
nationale et l'intangibilité constitutionnelle.
I. La procédure de révision constitutionnelle
La
procédure de révision constitutionnelle a été conçue en fonction des spécificités
congolaises et doit être lue à leur lumière. Le souci pour la stabilité des
institutions démocratiques expliquent les choix fondamentaux qui sont opérés
quant à l’initiative, la période propice et l’objet de la révision ainsi que quant
au rôle du Législateur et du Peuple dans la procédure de révision.
1. L’initiative de la révision constitutionnelle
L’initiative
de la révision constitutionnelle est réglée à l’article 218 alinéa premier. Elle appartient
concurremment au Président de
la République, au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres, à chacune
des Chambres du Parlement à l'initiative de la moitié de ses membres, à une
fraction du peuple congolais constituée de 100.000 personnes, s'exprimant par
une pétition adressée à l'une des deux Chambres. L'initiative de révision constitutionnelle porte
plusieurs dénominations selon les auteurs. Il s'agit d'une pétition si elle
émane d'une portion du peuple congolais, d'un projet si elle est issue de
l'Exécutif et d'une proposition, si elle provient d'une Chambre du Parlement.
Cette disposition établit un certain équilibre
entre l’Exécutif et le Législatif sur l’initiative de la révision, sans perdre
de vue le peuple lui-même. Néanmoins,
elle favorise le pouvoir exécutif au détriment d'autres initiateurs. Comment,
en effet, l'initiative peut-elle appartenir concurremment au Président de la
République et au Gouvernement qu'il préside ? [1]
En dépit du silence constitutionnel sur la question,
la révision constitutionnelle doit être fondée sur des motifs solides. Cette
exigence découle de la nature même de la constitution qui se veut un texte
stable et rigide, excluant tout arbitraire dans la procédure de sa révision.
Des situations doivent donc justifier une révision de la Constitution. C’est
notamment: lorsque le juge constitutionnel a
déclaré qu'un traité ou un accord international, à ratifier ou à approuver,
comporte une clause contraire à la Constitution (article 216[2]) ;
lorsque les normes transitoires concernant la continuité des institutions sont
devenues caduques du moment que les nouvelles institutions sont mises en place
(article 222)[3] ;
lorsque perdent de leur vigueur les dispositions fixant des délais qui sont
arrivés ou sur le point d’arriver à échéance, à l’instar de l’ancien article
226 alinéa 1er sur les entités territoriales décentralisées[4]; ou
lorsque il existe une nécessité de combler des lacunes par rapport à
l'évolution de la société.
Lorsqu'une
de ces situations se produit, on peut alors initier une révision
constitutionnelle en suivant la procédure prévue à cet effet.
2. La procédure d'approbation de la révision constitutionnelle
Après l'examen du bien-fondé de l'initiative par le Parlement,
deux voies sont possibles pour l'approbation de la révision constitutionnelle:
la voie référendaire et la voie législative[5].
2.1. L'examen du bien fondé de l'initiative
D'après l'article 218, alinéa 2, toute
initiative de révision constitutionnelle est soumise à l'Assemblée nationale et
au Sénat qui en décident du bien fondé, à la majorité absolue de chaque
Chambre. Le bien fondé, en tant que conformité au droit, de l'initiative de
révision constitutionnelle doit s'examiner d'abord à l'aune des règles
constitutionnelles. Le Parlement doit vérifier si l'initiative est conforme à la
Constitution (initiateur, matière, période, etc.). Il peut toujours demander un
avis technique a la juridiction constitutionnelle, sur la conformité de
l'initiative à la Constitution. Ce n'est que lorsque ce bien fondé est établi
que l'initiative peut alors être soumise à l'approbation du Peuple ou du
Congrès, afin que la révision soit définitive.
2.2. L’approbation de la révision par la voie référendaire
La
voie référendaire est prévue par l'alinéa 3 de l'article 218 suivant lequel la
révision n'est définitive que si l'initiative est approuvée par référendum sur
convocation du Président de la République. D'après cette disposition, le
référendum est la voie ordinaire pour approuver une révision constitutionnelle.
Cela est conforme au principe du parallélisme des formes. C'est par référendum
que la Constitution a été adoptée, c'est aussi par référendum que sa révision
doit être approuvée. Cette révision peut également être approuvée par la voie
législative.
2.3. L’approbation de la révision par la voie législative
D'après
l'article 218, alinéa 3, la révision constitutionnelle par la voie législative (ou
parlementaire) est approuvée par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes
des membres composant l'Assemblée nationale et le Sénat, et non seulement les
membres présents. Mais cette disposition ne précise pas l'autorité qui doit convoquer
le Congrès.
Selon
la Constitution française dont la Constitution congolaise est la "petite
sœur"[6], c'est
le Président de la République qui convoque le Congrès[7]. Cela
arrive lorsque ce dernier, fort de sa majorité au Parlement, entend mettre
rapidement en œuvre, au cours de son mandat, les réformes qu'il estime
nécessaires.
2.4. La relation entre la voie référendaire et la voie législative
La
voie référendaire est le principe et la voie législative l'exception. Cette
exception est introduite par le terme "toutefois". Si la voie
ordinaire, n'est pas empruntée, on peut alors se rabattre exceptionnellement
sur la voie législative.
Contrairement
à l'Honorable Boshab qui se fonde sur l'article 218 alinéa 4 et prétend que la
"voie parlementaire" est le principe et la voie référendaire l'exception[8], on
ne doit pas partir du seul alinéa 4 pour établir la relation entre les deux
voies. Il faut prendre en considération l'alinéa 4 et le début de l'alinéa 3.
En effet, après avoir posé le principe de la voie référendaire, le Constituant
a prévu une exception de voie législative, introduite par le vocable "toutefois".
Et en cas d'échec de l'exception, on peut alors retourner au principe, comme
exception de l'exception. Telle est, me semble-t-il, l'économie des alinéas 3
et 4 de l'article 218, car la procédure d'adoption de la Constitution ne
saurait être une procédure exceptionnelle d'approbation de la révision
constitutionnelle.
Néanmoins,
quelle que soit la procédure suivie,
la révision constitutionnelle est subordonnée à des limites fixées
par le Constituant originaire et qui ne doivent, en aucun cas, être
outrepassées par le Constituant dérivé qui tient sa compétence du premier.
II. Les limites autonomes à la révision
constitutionnelle
Il existe deux sortes de limites au pouvoir de réviser la Constitution.
Elles sont conjoncturelles et matérielles.
1. Les limites conjoncturelles
Les limites conjoncturelles
sont prévues par l'article 219. D'après cette norme, certaines circonstances
empêchent toute révision constitutionnelle. Il s'agit de l'état de guerre,
d'urgence ou de siège, de la période de l'intérim à la présidence de la république
et lorsque les deux Chambres du Parlement se trouvent empêchées de se réunir
librement.
On peut
déduire de l'article 219 que c’est en temps normal que l’on peut procéder à la
révision constitutionnelle et non en période de troubles. Aussi, en tant que
« rempart des libertés et de la démocratie », la Constitution prévoit
des normes régulant l’action de certaines autorités constituées dans des
situations exceptionnelles menaçant l’intégrité du territoire ou mettant en
danger les institutions de la République. Pendant ces périodes, qui requièrent
l’unité et la cohésion nationales, il convient d’éviter des débats à même d’y
porter atteinte. C’est pourquoi toute révision constitutionnelle est
exclue dans ces moments[9].
2. Les limites matérielles
Toutes
les dispositions constitutionnelles peuvent être révisées, à l'exception de
celles voulues intangibles par la Constitution, elle-même. Celle-ci a érigé des
limites matérielles à sa révision, optant par ce fait pour la révision
partielle et excluant toute révision totale.
2.1. Les dispositions absolument intangibles
L'article 220 de la Constitution énonce sept interdictions de fond
faites à la révision constitutionnelle, en prévoyant des matières intangibles. Il
s’agit de la forme
républicaine de l'État, du principe du suffrage universel (article 5 al. 4), de
la forme représentative du Gouvernement (article 90 al. 3), du nombre et de la
durée des mandats du Président de la République (article 70), de l'indépendance
du pouvoir judiciaire (article 149), du pluralisme politique et syndical
(article 6). En outre, la norme interdit formellement toute révision
constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et
libertés de la personne (Titre II et article 61) ou de réduire les prérogatives
des provinces et des entités territoriales décentralisées[10].
L’organisation du pouvoir et la garantie des droits
fondamentaux sont deux composantes principales de la Constitution qui doivent
être protégées dans un État qui se veut de droit. Aussi, le régime choisi par
le constituant et qui établit un équilibre entre les pouvoirs et entre les
institutions de la République ne doit être modifié, car on sortirait ainsi de
l’idéal démocratique qui a d’ailleurs du mal à se concrétiser au
Congo-Kinshasa. La modification doit viser au meilleur.
À propos de la garantie des droits et libertés de
la personne (Titre II et article 61), elle doit être sauvegardée pour ne pas
laisser le blanc seing à leurs violations arbitraires. D’autant plus que notre
pays est lié dans ce domaine par des instruments internationaux auxquels il est
partie.
Quant aux prérogatives des provinces et entités
territoriales décentralisées, les réduire équivaudrait à porter atteinte à
l’essence même de l’État congolais qui se veut unitaire et fortement
décentralisé. C'est à juste titre qu'elles sont intangibles.
Le
nombre et la durée des mandats du Président de la
République intéressent la majorité des congolais, étant donné la place éminente
de ce dernier dans l'architecture institutionnelle. Aussi, faut-il rappeler avec
insistance qu'en vertu de l'article 220 alinéa 1er, l'article 70
alinéa 1er ne peut être révisé sans violer la Constitution. Cette
règle pose le principe du suffrage universel direct, la limite de la durée du
mandat présidentiel à cinq ans et le nombre des mandats présidentiels à deux.
L'intangibilité de ce principe et cette double limite sont absolues et ne
souffrent d'aucune exception.
Les normes instituant l'intangibilité de certaines matières ne sont pas
la spécificité des États d'Afrique subsaharienne, comme semble en donner
l'impression Évariste Boshab[11].
On les retrouve dans les constitutions de certains États européens qui ne
veulent pas revivre les erreurs du passé, ni les léguer à leurs citoyens de
demain. Ainsi l'article 79 alinéa 3 de la Loi fondamentale de la République
fédérale d'Allemagne (Grundgesetz) du
23 mai 1949 déclare intangibles le principe démocratique, le fédéralisme, la
séparation des pouvoirs et les principes énoncés aux articles 1 et 20 de la
même loi. De même, l'article 89 alinéa 5 de la Constitution française de 1958
et l'article 139 de la Constitution italienne de 1947 disposent que "la
forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision".
Quant à l'article 290 de la Constitution portugaise de 1876, il ne contient pas
moins de 15 principes matériels que toute révision de la Constitution doit
respecter. Ces règles font implicitement référence aux "ennemis" de
la Constitution: le régime hitlérien pour la Loi fondamentale de la République
fédérale d'Allemagne, la monarchie pour la Constitution française et italienne,
le règne de Salazar pour la Constitution portugaise de 1976.
Il est regrettable de constater que l'Honorable Boshab qui préconise la
prise en compte des réalités de la société dans la production du droit rejette le
principe d'intangibilité qui résulte des leçons tirées de la réalité vécue par
son pays[12],
à l'instar des exemples ci-dessus tirés du droit comparé.
En
tout état de cause, les règles
intangibles lient le constituant lui-même qui ne doit pas les modifier. En
fixant des limites matérielles à la révision de la Constitution, ces
dispositions instituent, au sein de celle-ci, une hiérarchie entre les
dispositions ordinaires que le constituant, moyennant le respect de certaines
formes, peut réviser, et les dispositions intangibles, qui échappent à son
emprise. Une initiative de révision constitutionnelle qui les violerait devrait
donc être déclarée inconstitutionnelle[13].
2.2. L'intangibilité relative de l'article 220
Il s'agit, ici, de l'article 220 en tant qu'instituant l'intangibilité
et non pas des dispositions qu'il protège et dont l'intangibilité est absolue.
En effet, la limite que
pose cet article à la révision constitutionnelle laisse une petite brèche qui pourrait
conduire à justifier une certaine révision. Cette norme constitutionnelle ne
protège pas sa propre intangibilité. On pourrait donc la
modifier sans toucher aux matières irrévisables.
D’aucuns
ont soutenu que pour préserver l’irrévisabilité qu’il institue, l’article 220
ne doit pas lui-même être révisable ; sinon, il ne poursuivrait plus son but et entraînerait la
fragilisation de l’irrévisabilité[14].
Toutefois, le fait que son irrévisabilité ne soit pas envisagée expressément
par la Constitution peut faire penser à une lacune, sans doute involontaire,
liée au fait que les rédacteurs ont voulu s’inspirer de l’article 89 de la
Constitution française de la Ve République, mais sans tenir compte
de la controverse doctrinale au sujet de cette disposition[15].
Il est donc nécessaire que l’article 220 prévoie aussi sa propre irrévisabilité, à l’instar
de l’article 197 de la Constitution belge (Texte coordonné du 17 février 1994)
qui énumère les matières ne pouvant pas faire l’objet d’une révision et qui se
protège aussi lui-même contre toute révision[16].
L'article
220 ne peut donc être révisé, ni dans le sens de modifier le contenu des
dispositions intangibles, ni dans celui d'en diminuer le nombre. Il ne peut
être touché que pour s'intangibiliser" ou '"intangibiliser"
d'autres dispositions constitutionnelles. C'est pourquoi son intangibilité est
relative.
2.3. L'option exclusive pour la révision partielle de la Constitution
La révision partielle de la Constitution s'oppose à
la révision totale. La première porte sur certaines dispositions déterminées de
la Constitution, celle-ci restant inchangée. La seconde touche l'ensemble ou la
grande majorité des dispositions constitutionnelles, ou encore aux fondements
et aux principes structurels de la Constitution[17].
En prévoyant, en son article 220, l'irrévisabilité
de certaines matières, la Constitution congolaise a exclu toute révision totale
et a, de ce fait, fait l'option exclusive pour la révision partielle. Partant,
si le Constituant veut changer de constitution et non la constitution, il
recourra à une procédure dont le point de départ est extrajuridique, voire
parajuridique.
Cependant, on peut invoquer le principe du
parallélisme des formes d'après lequel l’autorité qui a édicté un acte soit la
même qui soit compétente pour l’abroger. Selon ce principe, l’article 220 ne
pourrait pas faire obstacle à une révision totale, en cas de nécessité éprouvée
par le Constituant, puisqu'il s’agit d’une autolimitation de ce dernier qui
peut être levée par lui-même. Celui-ci ne peut agir qu'en tant qu'investi du
pouvoir originaire ; s’il est détenteur d’un pouvoir dérivé, il doit être
mandaté par le Constituant originaire. En l’absence d’un tel mandat, on
verserait dans la fraude à la Constitution qui ne serait autre chose, en
l'occurrence, qu'une usurpation de compétence et une violation de la
Constitution.
Il
en résulte que la Constitution congolaise ne prévoit que sa révision partielle.
La possibilité d'une révision totale est écartée constitutionnellement par
l'article 220. Cette révision serait un changement de constitution et
constituerait une transmutation de régime dépourvu de tout fondement
constitutionnel. On ne peut pas invoquer, ici, la pratique helvétique de la
révision totale de la Constitution fédérale qui est prévue par cette dernière[18]
et qui est l'œuvre du peuple et des cantons[19]. La
Constitution fédérale suisse ne prévoit pas de limites matérielles autonomes à
sa révisabilité. C'est pourquoi, la révision constitutionnelle peut être
partielle ou totale. Dans le deux cas, l'organe investi du pouvoir constituant
est le corps électoral fédéral. Pour que ce pouvoir soit exercé valablement, il
faut une double majorité du peuple et des cantons.
D'après
Auer, Malinverni et Hottelier, une raison qui peut expliquer et justifier
l'absence de limites matérielles à la révisabilité de la Constitution suisse
est que "la légitimité du constituant dérivé, à savoir du peuple et des
cantons, est jugée supérieure à celle non seulement de tous les organes de
l'Etat, mais aussi du constituant originaire." Cette légitimité, précisent
les auteurs, résulte, "d'une part, du caractère démocratique du processus
de révision constitutionnelle et, d'autre part, du fait que les cantons, qui
participent à ce processus, ont préexisté à la Confédération et ne doivent donc
pas leur existence à la Constitution de 1948. On ne voit donc pas quel organe
de l'Etat, au nom de quel principe, pourrait valablement empêcher le
constituant souverain de modifier les bases mêmes du régime politique et
constitutionnel de la Suisse."[20]
Ces
raisons, quel que soit leur solidité, ne valent pas pour la RDC où la solution
contraire est clairement retenue dans la Constitution. Celle-ci a, à l'instar
des Constitutions belge et française, opté exclusivement pour la révision
partielle, en prévoyant l'intangibilité de certaines dispositions constitutionnelles.
Ce choix de la révision partielle porte-t-il atteinte à la souveraineté
nationale du peuple congolais?
III. La souveraineté nationale et l'intangibilité constitutionnelle
L'intangibilité de certaines dispositions constitutionnelles peut-elle
limiter le pouvoir de révision du souverain primaire? Autrement dit, a-t-elle
le pas sur la souveraineté du peuple? Avant d'y répondre, il faut préciser que
la souveraineté du pouvoir constituant varie selon que ce dernier est
originaire ou dérivé.
1. La souveraineté du pouvoir constituant
Le pouvoir constituant est souverain. Mais cette souveraineté est absolu
ou relative selon que le pouvoir est originaire ou dérivé. Le pouvoir
constituant est originaire lorsqu'il s'exerce à la fondation d'un régime, avec
une nouvelle Constitution; il est dérivé lorsqu'il est exercé pour modifier la
Constitution sans en bouleverser les fondements. En
RDC, le pouvoir constituant originaire de la Troisième République appartient au
Peuple. Tandis que le pouvoir constituant dérivé appartient aussi bien au
peuple qu'au Congrès. La question qui pourrait se poser est la suivante: Les
deux pouvoirs constituants, originaire et dérivé, sont-ils égaux et ont-ils la même souveraineté ? Sans entrer
dans le débat doctrinal français, il faut considérer qu'en principe le pouvoir
originaire n'est pas soumis aux règles de la Constitution qu'il produit, tandis
que le pouvoir dérivé est institué par la Constitution qui en régule l'exercice.
Le titulaire du pouvoir constituant originaire est le
créateur d'une Constitution et celui du pouvoir constituant dérivé en est le
réviseur. Le premier est un organe constituant qui tient sa compétence de
lui-même, s’il n’est pas prévu par la Constitution en vigueur. Au regard de la
Constitution à produire, il est préconstitutionnel. Le second, en revanche, est
un organe constitué tenant de la Constitution sa compétence exclusive de
révision de celle-ci[21].
Déjà en 1962, le Conseil constitutionnel français avait abondé dans le
même sens à propos du pouvoir constituant dérivé. Tout en lui reconnaissant une
certaine souveraineté, il précise que celle-ci s’exerce sous réserve des
limites constitutionnelles quant à la période et à l’objet[22].
Ainsi donc, le Constituant originaire est au-dessus
de la Constitution qu'il produit, tandis que le Constituant dérivé, fût-il le
Peuple, est soumis aux règles constitutionnelles.
2. La souveraineté nationale et le pouvoir de révision constitutionnelle
Ce titre développe les points ci-après: La base constitutionnelle de la
souveraineté nationale (2.1); La souveraineté nationale et la
constitutionnalité (2.2); L'intangibilité constitutionnelle et les générations
futures (2.3); Le changement de régime et l’intangibilité constitutionnelle
(2.4).
2.1. La base constitutionnelle de la souveraineté nationale
Le
principe de la souveraineté nationale a pour base constitutionnelle l’article
5, alinéa 1er qui a la teneur suivante : "La souveraineté nationale appartient au peuple. Tout
pouvoir émane du peuple qui l'exerce directement ou indirectement par voie de
référendum ou d'élections et indirectement par ses représentants".
D'après cette disposition, en vertu de la souveraineté nationale qui lui
appartient, le peuple congolais est la source de tout pouvoir. L'exercice de ce
pouvoir est direct s'il est l'œuvre du peuple convoqué par le biais du
référendum ou des élections; il est indirect, lorsqu'il est l'œuvre des
représentants du peuple. Au sujet de l'exercice direct du pouvoir, il faut
relever qu'en cas de référendum, une question est posée au peuple qui y répond.
L'objet de la question et la procédure
doivent être conformes à la Constitution et à la loi. Lors d'une élection, on
lui propose des candidats qui sont idoines et il se prononce selon la procédure
prévue à ce sujet. Le peuple ne se pose donc pas la question à lui-même, ni ne
présente ses candidats à lui.
La souveraineté nationale est à distinguer de la souveraineté de l'État
dont il s’agit à l'article 1er alinéa 1er et
de celle que l'État exerce et qui est prévue par l'article 9 alinéa 1er[23].
La souveraineté qu'exerce l'État comme puissance publique[24]
est une portion de souveraineté nationale. L'État agit comme représentant de la
Nation.
2.2. La souveraineté nationale et la constitutionnalité
Deux points seront développés sous cette section: La souveraineté comme
compétence constitutionnelle et la souveraineté et la révision
constitutionnelle par la voie référendaire.
2.2.1. La souveraineté comme compétence constitutionnelle
La souveraineté est une compétence attribuée au peuple par la
Constitution, en son article 5, et qui doit s'exercer dans le respect de cette
dernière. Elle ne peut pas s'exercer en marge de la Constitution. Il suit de là
qu'on ne doit pas se fonder sur la souveraineté pour violer la Constitution. Ce
serait un abus de souveraineté.
La souveraineté étant constitutionnelle et la Constitution étant un acte
de souveraineté, l'inconstitutionnalité est une atteinte à la souveraineté, et
l'abus de souveraineté est une inconstitutionnalité. C'est pourquoi, une
révision constitutionnelle ayant pour objet une des matières irrévisables doit
être considérée comme nulle. Néanmoins, pour éviter d'être court-circuité par
le référendum dont le résultat n'est attaquable auprès d'aucune juridiction,
l'acte du peuple étant opposable à tous, il faudrait que le procureur près la
Cour constitutionnelle attaque l'initiative et/ou la décision du bien-fondé de
l'initiative ou de celle de la soumission au référendum. Cette attaque devrait
être assortie d'un effet suspensif. Ainsi, on éviterait d'induire en erreur le
Peuple congolais, en lui faisant violer sa souveraineté sous prétexte qu'on la
lui fait exercer.
2.2.2. La souveraineté et la révision constitutionnelle par la voie référendaire
On le sait déjà, le souverain ne prend jamais l'initiative de la
révision constitutionnelle, ce sont ses représentants ou une portion du peuple.
Il ne peut que répondre à la question qui lui est posée lors du référendum. La
procédure pré-référendaire peut, en conséquence, être soumise au juge qui en
examinera la constitutionnalité.
2.2.2.1. La question référendaire et le respect de la Constitution
En vertu du principe de la souveraineté ou de la démocratie, on peut
théoriquement dans la procédure référendaire poser toute question non réglée
par la Constitution au Souverain primaire. Cependant, dès lors que la
Constitution a déjà clairement réglé une question, on doit s'y tenir, car la
solution est opposable erga omnes.
En matière de droit public, précisément au sujet des compétences des
pouvoirs publics fondées essentiellement sur la légalité, on devrait se défier
de cet adage populaire auquel se réfèrent, parfois, certains particuliers,
voire certains juristes, pour justifier l'injustifiable: "Ce qui n'est pas
interdit est permis". Cet adage résulterait d'une fiction
libéro-individualiste prônant l'antériorité de l'individu à la société et de la
liberté individuelle à la loi. Il n'a pas de place en droit public basé
essentiellement sur le principe de légalité.
Les organes étatiques doivent agir en vertu d'un mandat clair, précis et
encadré juridiquement. Réserve sera faite de la clause générale de police et de
la gestion d'affaires sans mandat, laquelle gestion doit toujours s'effectuer
dans l'intérêt du mandant, en l'espèce le peuple. Ce d'autant plus que la
Constitution prévoit elle-même des pouvoirs d'exception.
L'objet de la question à poser en référendum ne doit pas être contraire
à la volonté clairement exprimée dans la Constitution. On ne doit pas compter
sur la fraude ou sur l'éventualité d'une rétractation ou d'une amnésie
populaires, le peuple n'ayant pas d'archives. Ce serait un abus de mandat que de
vouloir, sans mandat clair, pousser le mandant à se prononcer contre ses
intérêts propres. Il s'agirait d'une atteinte grave à la souveraineté nationale,
laquelle atteinte devrait être sanctionnée sévèrement.
À supposer que le Président de la République décide de poser au peuple
une question portant sur une matière non référendaire, quid? La décision est
anticonstitutionnelle et peut être contestée devant la Cour constitutionnelle.
Il existe, en effet, toute une procédure à respecter et une limite à ne pas
franchir visant à protéger les fondements de la République, notamment le
non-retour pernicieux ou vicieux à la dictature et le principe de l'alternance
qui est substantiel en démocratie représentative.
Par ailleurs, on ne perdra pas de vue que, pour interroger le Souverain,
il faut en avoir la compétence. En l'espèce, aucune instance n'est habilitée
constitutionnellement pour soumettre au Souverain une question relative à une
matière qu'il a lui-même voulue intangible. À moins que le peuple congolais, et
non une portion de celui-ci, prenne lui-même l'initiative, en vertu de sa
souveraineté. Mais, comment et par quel mécanisme? La réponse à cette question
ne relève pas du droit. Elle est extrajuridique, voire parajuridique.
En définitive, au regard du droit, il ne faut même pas poser au peuple
congolais la question de la révision des dispositions intangibles. Ce serait
une manifestation de la volonté de violer la Constitution. L'initiative ou la
décision de poser cette question est inconstitutionnelle, car elle n'a aucune
base, aucun fondement. Un organe étatique ne peut agir sans base légale. Un
acte étatique sans fondement juridique est un acte arbitraire, et donc nul.
Certes, de la souveraineté nationale peut découler la compétence du
peuple pour mettre en place une Assemblée constituante pour la rédaction de la
Constitution. Ce texte lui sera ensuite soumis par référendum pour approbation.
Néanmoins, cette assemblée doit être prévue par la Constitution elle-même. Ce
n’est pas le cas en RDC, à moins de procéder à une révision constitutionnelle
prévoyant cette possibilité.
2.2.2.2. La nécessité de l'intervention du juge dans la procédure de révision constitutionnelle
Prendre l'initiative de réviser une disposition voulue irrévisable par
la Constitution est un acte non conforme à cette dernière et qui devrait être
soumis à la Juridiction compétente pour le déclarer tel. Et un acte ainsi
déclaré est nul de plein droit (art. 168, al. 2). Mais pour être déférée à la
juridiction constitutionnelle, l’initiative doit être un acte législatif, en
l’espèce une proposition. Un projet ou une pétition doivent avoir été examinés
par le Parlement. C'est la décision de ce dernier sur le bien-fondé de
l'initiative qui est un acte législatif. Il en est de même d'une proposition
qui a été soumise au Parlement sans avoir été attaquée avant cette soumission.
Lorsque l'initiative a été prise par le président de la République,
celui-ci, qui doit veiller au respect de la Constitution (art. 69 al. 2), peut
être traduit devant la Cour constitutionnelle pour tentative de crime de haute
trahison (art. 164-165). Seulement la
procédure des poursuites et la mise en accusation sont très lourdes: vote
"à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le
Congrès" (art. 166). Que peut alors faire tout congolais, en vertu de
l'article 64 alinéa premier[25]?
C'est obtenir la déclaration de nullité de l'acte d'initiative par le biais de
l'annulation de la décision du Parlement qui admettrait son bien-fondé.
Dès lors, faut-il soutenir, à l'instar d'une partie de la doctrine que
l'intangibilité constitutionnelle lie éternellement les générations futures et
les prive de la possibilité de mettre en place un système juridique répondant à
leur situation sociopolitique?
2.3. L'intangibilité constitutionnelle et les générations futures
Un des arguments contre l’intangibilité constitutionnelle[26]
est que l’on ne peut pas lier définitivement les générations futures, le
souverain et la réalité sociale étant dynamiques et mutables. Aussi, un texte constitutionnel actuel ne doit pas lier
de manière définitive toutes les générations futures d’un État.
Celles-ci doivent demeurer libres de chercher à améliorer le système actuel.
Elles peuvent, par exemple, vouloir instituer la « ratiocratie » en
lieu et place de la démocratie. La souveraineté ne peut donc être une propriété
exclusive d’une génération[27].
Partant, le principe de révisabilité de toutes les matières constitutionnelles
doit être gardé dans le respect des conditions qu’impose le constituant pour sa
génération et que lui seul peut modifier en cas de nécessité.
Cette thèse ne justifie pas juridiquement la possibilité de réviser
l'irrévisable constitutionnel. Elle est, dans le cas de la RDC, une
supercherie, une manifestation de la volonté habituelle de violer le droit au
nom d’un certain éthos politique dicté par des visées oligarchiques.
On ne perdra pas de vue que toute loi est adoptée, en principe, pour
régir le futur. C'est pourquoi, elle est assortie d'un effet immédiat, sauf si
elle-même prévoit un effet rétroactif. Ainsi, qu'on le veuille ou non, la loi
lie les générations futures, en attendant son abrogation. De plus, c'est la
législation objectivement meilleure qu'on devrait léguer à la postérité et non
des turpitudes juridiques au regard des fondements même de l'État et du système
démocratique choisi. En l'espèce, auto-définie comme démocratique, la IIIe
République est-elle en droit de
léguer, entre autres, la possibilité d'une présidence à vie et sans alternance?
La réponse objectivement rationnelle ne peut qu'être négative.
Par ailleurs, cette Constitution qui n'a pas dix ans, et qui n'a donc
pas encore changé de génération en termes d'années, doit-elle être modifiée
dans ce qui fonde l'État congolais? Celui-ci est sorti d'une longue dictature
de 32 ans. On en a tiré la leçon en limitant définitivement le nombre de
mandats présidentiels à deux pour garantir l'alternance, et éviter la
monopolisation par une seule personne de la représentation nationale. Envisager
le contraire serait une usurpation de la souveraineté, une violation de la
constitution, un coup d'État constitutionnel et donc une
para-constitutionnalité tendant à légitimer l'illégitime.
Enfin, au regard du droit congolais, une génération n'est pas un sujet
de droit, ni un organe pouvant être auteur d'un texte normatif. C'est une
catégorie sociologique utilisée en droit, faute, peut-être, d'arguments
juridiques solides.
2.4. Le changement de régime et l’intangibilité constitutionnelle
En principe, le changement de régime doit s’opérer dans la légalité, et
donc dans le respect des clauses intangibles. Mais en fait, on assiste à des
fins tragiques de régime, soit par coup d’État[28],
soit par révolution populaire. Si tout le monde peut s’accorder sur
l’illégalité d’un coup d’État, une partie de la doctrine, sous l’influence des
discours politiques, semble soutenir la révolution comme œuvre du peuple
souverain. L’une et l’autre situation peuvent être à la base d’un nouveau
régime régi par une nouvelle constitution adoptée au mépris du droit en
vigueur. Seule la révolution intéresse notre propos.
2.4.1. Le passage d’un régime à l’autre et la constitutionnalité
L'histoire nous apprend que le passage d'un régime à l'autre ne s'est
pas toujours effectué en conformité aux règles en vigueur. Ce ne peut-être une
référence pour le droit ne l’ayant pas prévu, même si l'objectif invoqué est l'instauration
de la démocratie et de l'état de droit. On se trouve tout simplement devant un
acte politique, extincteur de l'ancien régime et générateur d'un nouveau
régime, sans fondements juridiques. Donc, un acte inconstitutionnel. Est également
dépourvu de tout fondement juridique le réalisme subséquent qui oblige à se résigner
devant une factualité et à se consoler avec la théorie de "nécessité fait
loi"[29].
2.4.2. Le changement de régime par la révolution et l’intangibilité constitutionnelle
La révolution est un « brusque mouvement social réalisé par la
force populaire, sans observer les formes légales, ayant pour but et pour
résultat la substitution d’un régime légal à un autre »[30].
Elle se distingue du coup d’État en ce qu’elle a pour auteur la masse populaire
et non l’une des autorités constituées.
Soutenir, à l'instar d'Évariste Boshab, que la révolution est un échec
des clauses irréformables et que, donc, celles-ci relèvent de la politique et
non du droit[31],
a des conséquences catastrophiques. Puisque tout l'ordre juridique, surtout le
droit public, ne serait que de la politique. Dans ce cas, à quoi bon alors légiférer,
si la révolution reste toujours possible dans un État? À quoi sert d'édicter le
droit puisqu'il ne peut pas arrêter pas la révolution?
La révolution est une rupture de l'ordre juridique et non seulement des
clauses d'éternité. Prétendre qu'elle est un échec des clauses
d'éternité est juridiquement insoutenable. Il s'agit plutôt d'une violation de
ces clauses. Cette violation équivaut-elle à un échec? Alors, combien de règles
juridiques échouent et sont vouées à l'échec!
Par ailleurs, Évariste Boshab ne démontre pas que la révolution peut
échouer devant les règles de droit sans clauses d’éternité. Ensuite, la
révolution n'interrompt pas que les clauses irréformables, mais tout l'ordre
juridique, à l'exception des règles qu'elle laisse perdurer ou qu'elle n'abroge
pas formellement. Ainsi, selon la vision du constitutionnaliste congolais Boshab, il ne se justifierait pas de maintenir,
par exemple, les dispositions pénales qui incriminent la corruption au Congo[32],
alors que c’est une pratique bien ancrée dans le mental des congolais, au point
de se muer en une certaine coutume contra
legem, voire praeter legem.
Suivie jusqu’au bout, cette vision conduirait à la suppression de toutes
les règles du droit qui sont violées. Et Dieu seul sait combien de règles ne
sont jamais enfreintes. Ne sommes-nous pas là en présence d'une tentative de
légitimation du factuel et du parajuridique qui se trouveraient ainsi en
juridicisés, au détriment du droit?
Par ailleurs, on notera que, du point juridique, si la révolution n’est
pas prévue par une règle de droit, elle est une exception dérogeant au droit.
Elle crée une situation d’inconstitutionnalité et de non-droit. Invoquer la
révolution pour justifier l’inefficacité des règles irréformables relève d'une
discipline autre que le droit.
On me rétorquera que, avec l’intervention du peuple souverain, il y a
redressement de l'inconstitutionnalité et de la situation de non-droit. Cependant,
il faudra démontrer que la révolution est effectivement l'affaire du peuple, en
tant que souverain, et non d'une portion de la population.
Il est à retenir que l'acte d'interruption du régime précédent non prévu
par la Constitution est incontestablement inconstitutionnel et que le passage
de ce régime à un autre est une période de non-droit et d'illégitimité.
3. Le débat doctrinal et l'intangibilité des dispositions constitutionnelles
Le débat doctrinal n'est pas interdit sur la valeur juridique de
l'intangibilité des dispositions constitutionnelles[33].
Mais il faudrait s'appuyer sur des références juridiques claires et solides. Toutefois,
si la question est déjà expressément réglée par la Constitution, on ne peut pas
se fonder sur une opinion doctrinale pour procéder à la révision d'une
disposition irrévisable. Ce serait une violation de la Constitution.
De plus, préconiser sciemment la violation des règles juridiques ou y
inciter serait une façon de cautionner l'idéologie selon laquelle les Africains
au Sud du Sahara ont des séquelles de l'état de nature dont la norme est la loi
du plus fort.
En définitive, une opinion doctrinale critiquant l'irrévisabilité prévue
constitutionnellement ne fonde pas la possibilité de réviser l'irrévisable. En d'autres termes, tout en n’étant pas à l'abri
des critiques doctrinales, philosophiques, politiques ou sociologiques[34], l’article
220 exclut toute révision des dispositions intangibles. Cette exclusion reste
indéboulonnable juridiquement.
****
Faut-il conclure?
Dans un état de droit, tout le monde, y compris le souverain, est soumis
au droit. Juridiquement, l’époque est
révolue du prince au-dessus de la loi et ne légiférant que pour ses
sujets. Ainsi donc, sous le régime de la
Constitution actuelle, aucune instance, même pas le Peuple congolais, n'est
habilitée à réviser les clauses intangibles énoncées à l'article 220[35].
En revanche, cet article peut être réformé, si l'on veut intangibiliser
d'autres dispositions fondamentales[36]
et non en "tangibilisant" les dispositions irréformables.
Constantin
Yatala Nsomwe Ntambwe
Dr
iur
[1] L'article 89 alinéa 1er de la Constitution française a évité
cette faveur qui révèle le présidentialisme caractérisant la philosophie
politique africaine dans sa majorité, en prévoyant cette formule:
"L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment
au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux
membres du Parlement".
[2] « Si la Cour constitutionnelle consultée par le
Président de la République, par le Premier ministre, le Président de
l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat, par un dixième des députés ou
un dixième des sénateurs, déclare qu’un traité ou accord international comporte
une clause contraire à la Constitution, la ratification ou l’approbation ne
peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. »
[3] Sur les
fonctions des normes transitoires et leur caractère temporaire, voir Évariste
Boshab, «Les dispositions
constitutionnelles transitoires relatives à la Cour constitutionnelle de la
République Démocratique du Congo », Fédéralisme Régionalisme, Volume 7 :
2007 Numéro 1 - Premiers scrutins et contrôle de constitutionnalité en
RDC : la mise en œuvre d’une constitution "régionaliste" http://popups.ulg.ac.be/federalisme/document.php?id=561,
consulté le 22 septembre 2013.
[4] Cet alinéa
disposait : « Les
dispositions de l'alinéa premier de l'article 2 de la présente Constitution
entreront en vigueur endéans six mois qui suivront l’installation effective des
institutions politiques prévues par la présente Constitution. » L'article
1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de
certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo a
modifié cet alinéa de la manière suivante: "Une loi de programmation
détermine les modalités d'installation de nouvelles provinces citées à
l'article 2 de la présente Constitution."
[5] D'aucuns parlent de la voie parlementaire
(Simon-Louis Formery, La Constitution commentée. Article par article, 16e éd., Hachette,
Paris 2013/2014, ad art. 89, p. 169 et Evariste Boshab, Entre la
révision de la Constitution et l'inanition de la Nation, Larcier, Bruxelles
2013, p. 319 et 322): avec raison pour la France où il est fait mention de la
soumission "au Parlement convoqué en Congrès" (art. 89 al. 2 Cst Fr),
mais pas pour la RDC qui ne cite pas
l'institution "Parlement", mais ses deux Chambres et le Congrès). Je
me distancie de cette expression, car il ne s'agit pas du parlement, les deux
Chambres n'étant pas appelées à siéger pas séparément, mais du Congrès
réunissant les deux organes du Pouvoir législatif. C'est pourquoi, j'utilise
plutôt l'épithète "législative". C'est la révision ainsi approuvée
qui devrait s'appeler loi constitutionnelle et non celle qui est adoptée par le
peuple convoquée en référendum.
[6] Delphine Pollet-Panouissis,
"La Constitution congolaise de 2006: petite sœur africaine de la
Constitution française", RFDC,
75, 2008, p. 451-498.
[8]
Boshab 2013, p. 322-323. À noter
que, contrairement à ce que pense Evariste Boshab, l'art. 119 de la
Constitution n'a pas pour but de fonder l'automaticité de la voie
parlementaire, et donc la subsidiarité de la voie référendaire en cas de
révision constitutionnelle. Il définit simplement les cas pour lesquels les
deux Chambres se réunissent en Congrès, parmi lesquels celui de la révision
constitutionnelle et alors dans le respect de l'article 218 qui en règle la
procédure.
[9]Nicolas Banneux, Évariste Boshab, Marc Bossuyt, Bob Kabamba
et Pierre Verjans, «République
Démocratique du Congo : une Constitution pour une Troisième République
équilibrée», Fédéralisme Régionalisme, Volume 5 : 2004-2005 - La IIIe
République Démocratique du Congo, http://popups.ulg.ac.be/federalisme/document.php?id=209,
consulté le 29 janvier 2010. Les auteurs justifient l’irrévisabilité de la
Constitution pendant la vacance de la présidence de République et lorsque
celle-ci est exercée ad interim par
le Président du Sénat par le rôle éminent du Président de la République dans la
procédure de révision, lequel rôle se justifie à son tour par la confiance que
le peuple tout entier lui a témoignée (Ibidem).
[10] Sur les sources matérielles (raisons historiques,
idéologiques, philosophiques, politiques et sociologiques) de toutes ces
dispositions intangibles, lire Boshab
2013, p. 336-371. Néanmoins, il faut lire avec prudence ses
considérations et critiques dont la juridicité a du mal à s'imposer aux
juristes, peu réalistes peut-être, mais, en tous cas, non politiciens. À noter,
toutefois que, même s'il est violé impunément par ceux qui doivent l'appliquer,
le droit est normatif et non factuel. Il ne doit pas être tributaire de
l'opportunisme politique, sous couvert du réalisme.
[13] Cf.
Andreas Auer / Giorgio Malinverni / Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Volume I: L'Etat, 2e éd.,
Stämpfli, Berne 2006, p. 484, n°1359 (cité dans la suite: Auer I).
[14] Cf. Nicolas Banneux / Évariste Boshab / Marc Bossuyt / Bob Kabamba /
Pierre Verjans, http://popups.ulg.ac.be/federalisme/document.php?id=209,
consulté le 22 septembre 2013.
[16] Voici le libellé de cet
article : « Pendant une régence, aucun changement ne peut être apporté à
la Constitution en ce qui concerne les pouvoirs constitutionnels du Roi et les
articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 de la Constitution. »
[17] Auer I,
p. 497, n°s 1406-1407. En
dehors des critères quantitatif et qualitatif, les auteurs citent le critère
organique et procédurale pour différencier la révision partielle et la révision
totale (ibidem, n°s 1408ss).
[18] L'art.192 al.1 Cst. féd.
dispose: "La Constitution peut être révisée en tout temps, totalement ou
partiellement ". Cet article ne peut être une référence pour fonder une
révision de l'irrévisable dans le système congolais qui prévoit la possibilité
de réviser la Constitution par la voie législative. En Suisse, il n'existe de
révision constitutionnelle que par la voie référendaire, à la suite d'une
procédure rigide qui s'impose à tous les organes étatiques qui y interviennent.
Pour le droit congolais, on doit se référer aux constitutions belge et
française dont il s'inspire et qui prévoient bien les matières
intangibles.
[20] Auer
I, p. 496, n° 1403. À noter que l'unique limite matérielle à la révisabilité de
la Constitution helvétique est hétéronome. C'est le jus cogens. En effet, d'après les art. 193 al. 4 et 194 al. 2 Cst.
féd, les révisions de la Constitution doivent respecter les règles impératives
du droit international. Il faut préciser que ces dispositions, combinées avec
les art. 139 al. 2 et 139a al. 2 Cst. féd, ont codifié une pratique inaugurée
par l'Assemblée fédérale en 1995 (FF 1994 III 1471, 1487; 1996 I 1305) (Auer I, p. 495, n° 1400).
[21] Sur
d'autres détails concernant la distinction entre pouvoir constituant originaire
et pouvoir constituant dérivé, cf. Boshab
2013, p. 28-34. Mais l'auteur n'établit pas de différencie entre le
pouvoir-compétence du pouvoir-organe.
[22] Décis. n° 92-312 DC du 2
sept. 1992, citée par Pierre Pactet / Ferdinand Mélin-Soucramanien, Le droit constitutionnel, 27e
édition mise à jour, Dalloz, Paris 2008, p. 542.
[23] La souveraineté de l'État, en tant que personne morale de droit public,
signifie que celui-ci n'est soumis à aucune puissance, sauf au droit, si c'est
un État de droit, comme la RDC (art.1 al. 1er).
"L'État exerce une
souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et les
forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais ainsi
que la mer territoriale congolaise et sur le plateau continental."
[24] L'État
n'est pas à prendre au sens du droit international public qui le décrit comme
constitué d'un territoire, d'une population et d'un gouvernement au sens
d'autorité politique. Si non, on ne prévoirait pas qu'il exerce une
souveraineté sur le territoire qui le constitue et sans lequel il ne serait
pas. Il s'agit ici du pouvoir politique comme composante de l'État, au sens du
droit international, et exerçant une souveraineté au nom de la nation sur une
autre composante qu'est le territoire.
[25] L'article 64 alinéa
premier a la teneur suivante: "Tout Congolais a le devoir de faire échec à
tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui
l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution."
[26] J’entends par
« intangibilité constitutionnelle », non celle de toute la
Constitution, mais celle prévue par la Constitution.
[27] Cf. Marcel Gauchet, La Révolution des pouvoirs,
Gallimard, Paris 1995, p. 280.
[28] Un coup d’État est
« l’acte d’une autorité constituée portant une atteinte illégale et
brutale à l’ordre qui la constitue, pour s’emparer du pouvoir ou s’y
maintenir. » (Pierre Avril /
Jean Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, 3ème éd., PUF, Paris 2012,
verbis « Coup d’État »).
[29] cf. Félix Vundwawe te Pemako, Traité de droit
administratif, Larcier, Bruxelles 2007, p. 193. Sur le changement de
régimes dans l'histoire de la RDC, de 1885 à nos jours, ibidem, p. 183-208.
[31] Boshab 2013, p. 110-112.
[32] Art.
147-150 du Code pénal congolais. Décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et
complété à ce jour. Mis à jour au 30 novembre 2004, JORDC, n° spécial, 30 novembre 2004, p. 37-38.
[33] Pour dénier la valeur juridique aux règles intangibles, notre honorable
fait sienne l’expression de Nathalie Droin, « barrières de papiers »
(Nathalie Droin, "Retour sur
la loi constitutionnelle de 1884: contribution à une histoire de la limitation
du pouvoir constituant dérivé", RFDC,
80, 2009, p. 735-736; Boshab 2013, p. 113, note 103), comme si les deux écrivaient sur du marbre ou de
l’or pour conférer la scientificité à leurs textes.
[35]
Même
les concertateurs ne doivent pas toucher aux clauses intangibles. Il faut
préciser que les actes des concertations
nationales, ouvertes le 07 septembre 2013 pour, en principe, 15 jours, ne seront que des propositions destinées à celui
qui les a convoquées par ordonnance présidentielle. Ils ne peuvent pas toucher aux clauses
constitutionnelles intangibles, ni violer une seule disposition
constitutionnelle. Sans fondement juridique claire, ces concertations ne
peuvent prendre aucun acte juridique opposable à quiconque, ni engageant un
organe constitué constitutionnellement.
[36] Sur ces dispositions, voir Constantin Yatala Nsomwe
Ntambwe, "La fondamentalité dans la Constitution congolaise et l'exigence d'une
protection juridique
spéciale", http://droitcongolais.info/files/fondamentalite.pdf
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