mercredi 9 avril 2014

La liberté de manifestation et l'information dans la Constitution RDC



La liberté de manifestation et le régime d'information dans la Constitution congolaise

Le décret-loi 196 du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions publiques (ci-après: le décret-loi) traitent ensemble des manifestations et des réunions comme quasiment deux expressions d'une même liberté d'expression collective des idées et des opinions. En son article 1er, il dit: "Tous les Congolais ont le droit d'organiser des manifestations et des réunions pacifiques et d'y participer individuellement ou collectivement, publiquement ou en privé, dans le respect des lois, de l'ordre public et des bonnes mœurs".
Ce décret-loi fait la distinction entre les manifestations et les réunions. Les secondes sont "des rassemblements sédentaires d'au moins 2 personnes ne comportant aucun mouvement continu de déplacement d'un lieu à l'autre" (art. 2 al.2). Les premières ne sont pas définies. En sont énumérés seulement les types (art. 2 al. 1). Mais, en tenant compte de cette énumération et a contrario des réunions, on peut définir les manifestations comme des rassemblements en déplacement continu, comme les marches, les défilés, les cortèges, les cérémonies d'accueil, les processions politiques, culturelles ou religieuses.
Les manifestations et réunions peuvent être publiques ou privées, selon qu'elles sont organisées respectivement sur la voie publique ou dans les lieux publics ouverts, non clôturés ou celles auxquelles le public est admis ou invité" (art. 3 al. 1), et "en dehors de la voie publique, dans les lieux publics ou privés fermés et clôturés" (art. 3 al. 2). Dans la suite, il ne s'agira que des manifestations publiques.
Quelle est la signification d'une manifestation publique? À quel régime est-elle soumise: de déclaration, d'autorisation ou d'information?
1. La signification de la manifestation publique
D'après Marcel-René Tercinet, l'histoire révèle que "la manifestation est l'un des moyens privilégiés par les citoyens pour affirmer leurs croyances, pour défendre leurs intérêts, voire pour renverser un régime politique [...] Son développement en matière politique ou sociale traduirait le besoin ressenti par les citoyens de revenir à la démocratie directe"[1]. Pour sa part, Bernard Stirn considère la manifestation comme "une réunion qui présente la double particularité d'être organisée sur la voie publique et d'avoir pour projet d'exprimer un sentiment collectif[2]." Elle peut être fixe ou se combiner avec un déplacement et un cortège[3].
Il en résulte que la manifestation est un mode d'expression collective d'une opinion ou d'un malaise profond et une réclamation de changement. Le message qu'elle relaie est souvent adressé à l'autorité compétente. C'est pourquoi elle est attachée à une liberté fondamentale et jouit de la protection juridique.
En droit congolais, la manifestation publique est l'exercice d'une liberté garantie par la Constitution et invocable de manière autonome. La liberté de manifestation (art. 26 cst) est séparée de la liberté de réunion (art. 25 cst).
La manifestation publique diffère de l'attroupement qui constitue un rassemblement improvisé des personnes sans but commun et qui présente des risques de trouble à l'ordre public. L'attroupement se caractérise par son improvisation et sa désorganisation[4]. Aussi, il ne bénéficie pas de protection et peut être réprimé par la loi pénale[5].
En droit congolais, les manifestations sont passées du régime de déclaration et d'autorisation à celui d'information.
2. Les régimes de déclaration préalable et d'autorisation préalable
Dans le décret-loi, les régimes de déclaration préalable et d'autorisation préalable concernent les manifestations publiques et non les privées. Ces dernières ne sont soumises à aucune formalité. Elles sont organisées librement. Les premières, en revanche, sont soumises au régime de déclaration préalable auprès des autorités politico-administratives compétentes (art. 4 al. 1) énumérées à l'article 5 al. 1[6]. Si elles ont organisées sur le domaine public, elles peuvent même être subordonnées à l'autorisation préalable accordée par les mêmes autorités (art. 4 al. 2 et 5 al. 2). Le domaine public est l'ensemble des biens qui sont affectés soit à l'usage du public, soit au service public et soumis en tant que tels à un régime juridique[7]. Il se distingue de la voie publique qui est une route ou un chemin appartenant au domaine public des différentes collectivités administratives territoriales[8]. La voie publique fait partie du domaine publique, mais celui-ci ne s'y réduit pas.
Il faut le souligner, le principe est le régime de déclaration préalable. C'est ainsi que le chapitre III du décret-loi est intitulé: "De la déclaration préalable". Cette déclaration a pour but de permettre aux autorités compétentes de prendre des dispositions pour éviter tout débordement et pour des considérations de sécurité nationale, d'ordre public, de santé publique ou de moralité publique, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui[9].
Quant à l'autorisation préalable pour des manifestations sur le domaine public, il ne revient pas aux organisateurs de celles-ci de la demander motu proprio, comme dans le cas de la déclaration. Il faut que l'autorité compétente soumette la manifestation en question à une autorisation préalable, soit à l'occasion de la déclaration préalable, soit dans un acte d'application du décret-loi connu du public.
Le décret-loi ne fixe pas les conditions qui doivent être réalisées pour exiger une autorisation préalable. Il ne définit pas non plus la forme de la déclaration préalable ou de l'autorisation préalable. On pourrait y trouver une délégation implicite à l'autorité d'application.
Toutefois, il faut relever que ce décret-loi a été adopté sous le régime de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dans un contexte post-conflit qui nécessitait une grande vigilance, afin d'étouffer toute velléité de résurgence de la part des ex-Forces armées zaïroises (FAZ) ou des nostalgiques du régime précédent.
Actuellement, il existe une constitution qui garantit la liberté de manifestation en son article 26 et instaure un régime d'information.
3. Le régime d'information selon l'article 26 de la Constitution
On lit aux deux premiers alinéas de l'article 26 de la Constitution: "La liberté de manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air, impose aux organisateurs d'informer par écrit l'autorité administrative compétente."[10]
Cette norme a une portée large. Contrairement au décret-loi qui régit les manifestations organisées sur la voie publique ou le domaine public, elle porte sur des manifestations pouvant être organisées aussi bien sur les voies publiques qu'en plein air, c'est-à-dire même en dehors du domaine public. Ainsi donc, pourvu que l'endroit ne soit pas couvert, le domaine sur lequel s'organise la manifestation importe peu, qu'il soit privé ou public.
L'article 26 de la Constitution institue un régime d'information écrite obligatoire. Dès lors, il faut se demander si l'ancien régime de déclaration de principe et d'autorisation d'exception est constitutionnel pour être encore d'application, quand bien même les autorités congolaises continueraient à s'en servir.
4. La constitutionnalité du régime de déclaration et d'autorisation des manifestations publiques
La question de la constitutionnalité du régime de déclaration et d'autorisation des manifestations publiques accule à interroger l'article 221 de la Constitution dont la teneur est la suivante: "Pour autant qu'ils ne soient pas contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent maintenus jusqu'à leur abrogation ou leur modification".
Le décret-loi est un texte législatif et chacun de ses articles en est également un. Son article 4 est-il conforme à l'article 26 de la Constitution? Celui-ci, en disposant en son dernier alinéa que "la loi fixe les mesures d'application", donne-il le blanc-seing au législateur de substituer le régime d'autorisation à celui d'information, énervant ainsi la Constitution et attentant à la liberté de manifestation? La réponse ne peut être que non. Et pour cause. D'abord, le décret-loi est antérieur à la Constitution. Le constituant en instituant le régime d'information a manifestement voulu mettre fin à celui de déclaration et d'autorisation, en maintenant le même but que celui assigné à la déclaration préalable. Aussi, les mesures d'application servent-elles à définir le contenu et les modalités de l'information ainsi que la conséquence en cas de non information. Le manque d'information pourrait amener à faire considérer la manifestation comme un attroupement, non protégé juridiquement. La répréhension ne peut que s'en suivre.
Par ailleurs, si le législateur peut aller au-delà de la Constitution, c'est pour protéger et non pour restreindre, sans mandat, les libertés et les droits fondamentaux. Partant, l'article 4 du décret-loi est contraire à l'article 26 de la Constitution et, donc, il est inconstitutionnel. Aussi, il n'est plus applicable, conformément à l'article 221 de la Constitution.

Tout compte fait, il est à retenir que le régime de déclaration et d'autorisation préalables est désuet. L'organisation des manifestations publiques, en tant qu'exercice de la liberté de manifestation, ne peut être soumise à aucune autorisation; elle n'est subordonnée qu'à l'obligation "d'informer par écrit l'autorité administrative compétente", ainsi que le prescrit l'article 26 alinéa 2 de la Constitution. Ainsi donc, aucune autorité congolaise ne pourrait interdire une manifestation publique. À moins de réviser la Constitution.

                                                           Prof. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
                                                           Dr iur


[1] Marcel-René TERCINET, "La liberté de manifestation  en France", in RDP, 1979, p. 1009.
[2] Bernard STIRN, Les libertés en question, Montchestien, 6ème édition, Paris 2006, p. 37.
[3] STIRN, p. 37.
[4] Xavier BIOY, Droits fondamentaux et libertés publiques, Montchrestien, Lextenso éditions, Paris 2011, p. 695; Henri OBERDORFF, Droits de l'homme et libertés fondamentales, 2eme édition, L. G. D. J., Lextenso éditions, Paris 2010, p. 512.
[5] Au contraire du Code pénal français qui réprime l'attroupement en tant que tel (art. 431-3), l'article 142 du Code pénal en vigueur en RDC réprime l'attroupement lorsqu'il est utilisé pour s'opposer à l'exécution des travaux publics.
[6] Ces autorités sont les suivantes: pour la province, les chefs-lieux de province et la ville de Kinshasa: le gouverneur de province ou celui de la ville de Kinshasa; pour les autres villes: le maire; pour la commune: le bourgmestre; pour le territoire: l'administrateur de territoire; pour la collectivité; pour la cité: le chef de cité.
[7] Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 4° édition mise à jour, Quadrige, Paris 2003, verbis "domaine public".
[8] CORNU, verbis "voies publiques".
[9] Cf. BIOY, p. 690; OBERDORFF, p. 513.
[10] La liberté de manifestation n'est pas garantie, comme telle, dans les instruments internationaux, en l'occurrence le Pacte de l'ONU relatif aux droits civils et politiques (art. 21) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (art. 11) qui protègent la liberté de réunion. Néanmoins, le Comité des droits de l'homme des Nations unies l'a rattachée à cette dernière, en protégeant le fait pour des opposants à un chef d'État étranger de déployer des banderoles dénonçant son activité contraire aux droits de l'homme (CDH, 31 mars 1994, communic. n° 412/1990, Mme Auli Kivenmaa c. Finland).

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