La
liberté de manifestation et le régime d'information dans la Constitution
congolaise
Le décret-loi 196 du 29
janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions
publiques (ci-après: le décret-loi) traitent ensemble des manifestations et des
réunions comme quasiment deux expressions d'une même liberté d'expression
collective des idées et des opinions. En son article 1er, il dit:
"Tous les Congolais ont le droit d'organiser des manifestations et des
réunions pacifiques et d'y participer individuellement ou collectivement,
publiquement ou en privé, dans le respect des lois, de l'ordre public et des
bonnes mœurs".
Ce décret-loi fait la
distinction entre les manifestations et les réunions. Les secondes sont
"des rassemblements sédentaires d'au moins 2 personnes ne comportant aucun
mouvement continu de déplacement d'un lieu à l'autre" (art. 2 al.2). Les
premières ne sont pas définies. En sont énumérés seulement les types (art. 2
al. 1). Mais, en tenant compte de cette énumération et a contrario des réunions, on peut définir les manifestations comme
des rassemblements en déplacement continu, comme les marches, les défilés, les
cortèges, les cérémonies d'accueil, les processions politiques, culturelles ou
religieuses.
Les manifestations et
réunions peuvent être publiques ou privées, selon qu'elles sont organisées
respectivement sur la voie publique ou dans les lieux publics ouverts, non
clôturés ou celles auxquelles le public est admis ou invité" (art. 3 al.
1), et "en dehors de la voie publique, dans les lieux publics ou privés
fermés et clôturés" (art. 3 al. 2). Dans la suite, il ne s'agira que des manifestations
publiques.
Quelle est la
signification d'une manifestation publique? À quel régime est-elle soumise: de
déclaration, d'autorisation ou d'information?
1.
La signification de la manifestation publique
D'après Marcel-René
Tercinet, l'histoire révèle que "la manifestation est l'un des moyens
privilégiés par les citoyens pour affirmer leurs croyances, pour défendre leurs
intérêts, voire pour renverser un régime politique [...] Son développement en
matière politique ou sociale traduirait le besoin ressenti par les citoyens de
revenir à la démocratie directe"[1].
Pour sa part, Bernard Stirn considère la manifestation comme "une réunion
qui présente la double particularité d'être organisée sur la voie publique et
d'avoir pour projet d'exprimer un sentiment collectif[2]."
Elle peut être fixe ou se combiner avec un déplacement et un cortège[3].
Il en résulte que la
manifestation est un mode d'expression collective d'une opinion ou d'un malaise
profond et une réclamation de changement. Le message qu'elle relaie est souvent
adressé à l'autorité compétente. C'est pourquoi elle est attachée à une liberté
fondamentale et jouit de la protection juridique.
En droit congolais, la
manifestation publique est l'exercice d'une liberté garantie par la
Constitution et invocable de manière autonome. La liberté de manifestation
(art. 26 cst) est séparée de la liberté de réunion (art. 25 cst).
La manifestation publique
diffère de l'attroupement qui constitue un rassemblement improvisé des
personnes sans but commun et qui présente des risques de trouble à l'ordre
public. L'attroupement se caractérise par son improvisation et sa
désorganisation[4]. Aussi,
il ne bénéficie pas de protection et peut être réprimé par la loi pénale[5].
En droit congolais, les
manifestations sont passées du régime de déclaration et d'autorisation à celui
d'information.
2.
Les régimes de déclaration préalable et d'autorisation préalable
Dans le décret-loi, les
régimes de déclaration préalable et d'autorisation préalable concernent les
manifestations publiques et non les privées. Ces dernières ne sont soumises à
aucune formalité. Elles sont organisées librement. Les premières, en revanche, sont
soumises au régime de déclaration préalable auprès des autorités
politico-administratives compétentes (art. 4 al. 1) énumérées à l'article
5 al. 1[6].
Si elles ont organisées sur le domaine public, elles peuvent même être
subordonnées à l'autorisation préalable accordée par les mêmes autorités (art. 4 al.
2 et 5 al. 2). Le domaine public est l'ensemble des biens qui sont affectés
soit à l'usage du public, soit au service public et soumis en tant que tels à
un régime juridique[7].
Il se distingue de la voie publique qui est une route ou un chemin appartenant
au domaine public des différentes collectivités administratives territoriales[8].
La voie publique fait partie du domaine publique, mais celui-ci ne s'y réduit
pas.
Il faut le souligner,
le principe est le régime de déclaration préalable. C'est ainsi que le chapitre
III du décret-loi est intitulé: "De la déclaration préalable". Cette
déclaration a pour but de permettre aux autorités compétentes de prendre des
dispositions pour éviter tout débordement et pour des considérations de sécurité
nationale, d'ordre public, de santé publique ou de moralité publique, ou pour
protéger les droits et les libertés d'autrui[9].
Quant à l'autorisation
préalable pour des manifestations sur le domaine public, il ne revient pas aux
organisateurs de celles-ci de la demander motu
proprio, comme dans le cas de la déclaration. Il faut que l'autorité
compétente soumette la manifestation en question à une autorisation préalable,
soit à l'occasion de la déclaration préalable, soit dans un acte d'application
du décret-loi connu du public.
Le décret-loi ne fixe
pas les conditions qui doivent être réalisées pour exiger une autorisation
préalable. Il ne définit pas non plus la forme de la déclaration préalable ou
de l'autorisation préalable. On pourrait y trouver une délégation implicite à
l'autorité d'application.
Toutefois, il faut
relever que ce décret-loi a été adopté sous le régime de l'Alliance des forces
démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dans un contexte post-conflit
qui nécessitait une grande vigilance, afin d'étouffer toute velléité de
résurgence de la part des ex-Forces armées zaïroises (FAZ) ou des nostalgiques
du régime précédent.
Actuellement, il existe
une constitution qui garantit la liberté de manifestation en son article 26 et
instaure un régime d'information.
3.
Le régime d'information selon l'article 26 de la Constitution
On lit aux deux
premiers alinéas de l'article 26 de la Constitution: "La liberté de
manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en
plein air, impose aux organisateurs d'informer par écrit l'autorité
administrative compétente."[10]
Cette norme a une portée
large. Contrairement au décret-loi qui régit les manifestations organisées sur
la voie publique ou le domaine public, elle porte sur des manifestations
pouvant être organisées aussi bien sur les voies publiques qu'en plein air,
c'est-à-dire même en dehors du domaine public. Ainsi donc, pourvu que l'endroit
ne soit pas couvert, le domaine sur lequel s'organise la manifestation importe
peu, qu'il soit privé ou public.
L'article 26 de la
Constitution institue un régime d'information écrite obligatoire. Dès lors, il
faut se demander si l'ancien régime de déclaration de principe et
d'autorisation d'exception est constitutionnel pour être encore d'application,
quand bien même les autorités congolaises continueraient à s'en servir.
4.
La constitutionnalité du régime de déclaration et d'autorisation des
manifestations publiques
La question de la
constitutionnalité du régime de déclaration et d'autorisation des
manifestations publiques accule à interroger l'article 221 de la Constitution
dont la teneur est la suivante: "Pour autant qu'ils ne soient pas
contraires à la présente Constitution, les textes législatifs et réglementaires
en vigueur restent maintenus jusqu'à leur abrogation ou leur
modification".
Le décret-loi est un
texte législatif et chacun de ses articles en est également un. Son article 4
est-il conforme à l'article 26 de la Constitution? Celui-ci, en disposant en
son dernier alinéa que "la loi fixe les mesures d'application",
donne-il le blanc-seing au législateur de substituer le régime d'autorisation à
celui d'information, énervant ainsi la Constitution et attentant à la liberté
de manifestation? La réponse ne peut être que non. Et pour cause. D'abord, le
décret-loi est antérieur à la Constitution. Le constituant en instituant le
régime d'information a manifestement voulu mettre fin à celui de déclaration et
d'autorisation, en maintenant le même but que celui assigné à la déclaration
préalable. Aussi, les mesures d'application servent-elles à définir le contenu
et les modalités de l'information ainsi que la conséquence en cas de non
information. Le manque d'information pourrait amener à faire considérer la
manifestation comme un attroupement, non protégé juridiquement. La répréhension
ne peut que s'en suivre.
Par ailleurs, si le
législateur peut aller au-delà de la Constitution, c'est pour protéger et non
pour restreindre, sans mandat, les libertés et les droits fondamentaux. Partant,
l'article 4 du décret-loi est contraire à l'article 26 de la Constitution et,
donc, il est inconstitutionnel. Aussi, il n'est plus applicable, conformément à
l'article 221 de la Constitution.
Tout compte fait, il
est à retenir que le régime de déclaration et d'autorisation préalables est
désuet. L'organisation des manifestations publiques, en tant qu'exercice de la
liberté de manifestation, ne peut être soumise à aucune autorisation; elle
n'est subordonnée qu'à l'obligation "d'informer par écrit l'autorité
administrative compétente", ainsi que le prescrit l'article 26 alinéa 2 de
la Constitution. Ainsi donc, aucune autorité congolaise ne pourrait interdire
une manifestation publique. À moins de réviser la Constitution.
Prof.
Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
Dr
iur
[1] Marcel-René TERCINET, "La
liberté de manifestation en
France", in RDP, 1979, p. 1009.
[2] Bernard STIRN, Les libertés en question, Montchestien,
6ème édition, Paris 2006, p. 37.
[3] STIRN, p. 37.
[4]
Xavier BIOY, Droits fondamentaux et libertés publiques,
Montchrestien, Lextenso éditions, Paris 2011, p. 695; Henri OBERDORFF, Droits de l'homme et libertés fondamentales,
2eme édition, L. G. D. J., Lextenso éditions, Paris 2010, p. 512.
[5] Au contraire du Code pénal
français qui réprime l'attroupement en tant que tel (art. 431-3), l'article 142
du Code pénal en vigueur en RDC réprime l'attroupement lorsqu'il est utilisé
pour s'opposer à l'exécution des travaux publics.
[6] Ces autorités sont les
suivantes: pour la province, les chefs-lieux de province et la ville de
Kinshasa: le gouverneur de province ou celui de la ville de Kinshasa; pour les
autres villes: le maire; pour la commune: le bourgmestre; pour le territoire:
l'administrateur de territoire; pour la collectivité; pour la cité: le chef de
cité.
[7] Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 4° édition mise à
jour, Quadrige, Paris 2003, verbis "domaine
public".
[8] CORNU, verbis "voies publiques".
[9] Cf. BIOY, p. 690;
OBERDORFF, p. 513.
[10] La liberté de manifestation
n'est pas garantie, comme telle, dans les instruments internationaux, en
l'occurrence le Pacte de l'ONU relatif aux droits civils et politiques (art.
21) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (art. 11) qui
protègent la liberté de réunion. Néanmoins, le Comité des droits de l'homme des
Nations unies l'a rattachée à cette dernière, en protégeant le fait pour des
opposants à un chef d'État étranger de déployer des banderoles dénonçant son
activité contraire aux droits de l'homme (CDH, 31 mars 1994, communic. n° 412/1990,
Mme Auli Kivenmaa c. Finland).
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