La fin du mandat des parlementaires et l’exigence du
principe d’égalité de traitement
La fin du mandat des parlementaires est
réglée à l’article 110 de la constitution congolaise qui a la teneur
suivante : « Le mandat de député national ou de sénateur prend fin
par : 1. expiration de la
législature ; 2. décès ; 3. démission ; 4. empêchement définitif ; 5.
incapacité permanente ; 6. absence
non justifiée et non autorisée à plus d’un quart des séances d’une session ; 7. exclusion prévue par la loi électorale
; 8. acceptation d’une fonction
incompatible avec le mandat de député ou de sénateur ; 9. condamnation irrévocable à une peine de servitude pénale
principale pour infraction intentionnelle.
Toute cause d’inéligibilité, à la date des
élections, constatée ultérieurement par l’autorité judiciaire compétente
entraîne la perte du mandat de député national ou de sénateur. Dans ces cas, il
est remplacé par son premier suppléant.
Tout député
national ou tout sénateur qui quitte délibérément son parti politique
durant la législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu
dans le cadre dudit parti politique. »
Les
différentes causes extinctives du mandat des députés et sénateurs sont
classiques et ne requièrent pas, du moins selon moi, de commentaire spécial, à
l’exception de celle que prévoit le dernier alinéa. Cette disposition qui est
tributaire d’une certaine tradition constitutionnelle congolaise (I) consacre
une inégalité entre les parlementaires (II).
I.
Les antécédents dans la tradition constitutionnelle
L’article 110
alinéa 4 de la Constitution[1] a
quatre antécédents dans la tradition constitutionnelle : l’article 39 de
la Constitution de 1967[2] ;
l’article 63 alinéa 2 de l’Acte constitutionnel de la Transition de 1994[3] ;
l’article 102 de la proposition de constitution de la Conférence nationale
souveraine (CNS) de novembre 1992 et l’Accord global et inclusif sur la transition en
République Démocratique du Congo, signé à Pretoria le 17. 12. 2002 et adopté à
Sun City le 1er avril 2003 (Accord global et inclusif)[4].
J’en apprécierai la pertinence au regard de leur cohérence interne avec la
représentation parlementaire telle qu’elle est définie par les textes dont ils
font partie.
1.
L’article 39 de la Constitution du 24 juin 1967
D’après l’article 39 de la Constitution de 1967, « lorsque s’étant présenté sur la liste d’un parti politique, un député cesse d’appartenir à ce parti, il perd son mandat à l’Assemblée nationale et il y est remplacé par son suppléant ». Voici le commentaire qu’en fait le législateur lui-même : « dans l’esprit de l’article 39, lorsqu’un candidat se présente sur la liste d’un parti, il prend, par là même, l’engagement devant ce parti et devant le corps électoral de respecter les statuts et le programme de ce parti. Il ne pourra donc pas, une fois élu, changer de parti ou se libérer, à son gré, de l’engagement qu’il a pris de respecter les statuts et le programme de son parti. C’est pourquoi lorsqu’un député membre cesse d’être membre d’un parti, il perd son mandat à l’Assemblée nationale et il y est remplacé par son suppléant. »[5]
Dans le système monocaméral prévu
par l’article 36 (al. 1) de la Constitution de 1967, les députés à l’Assemblée
nationale représentent la nation (al. 2). On est ici dans un système où le
scrutin porte exclusivement sur les listes et non sur les candidats. Dans ce premier système on choisit un parti et non la
personne qui le représente. Dès lors, il est soutenable de prévoir dans ce
système que l’abandon de son parti équivaille à la cessation du mandat de
parlementaire, d’autant plus que l’article 4, alinéa 2 prévoyait
qu’ « il ne peut être créé plus de deux partis dans la République.
2. L’article 63 alinéa 2 de l’Acte
constitutionnel de la Transition du 9 avril 1994
L’article 63 alinéa 2 de l’Acte constitutionnel de la Transition est ainsi libellé : « En vue de sauvegarder l’équilibre entre les forces politiques et sociales, les partis politiques, les institutions publiques et les associations civiles, auxquels appartiennent les membres sortants pourvoient à la vacance ainsi créée en désignant le remplaçant parmi les anciens conférenciers ou les suppléants de l’ancienne Assemblée Nationale. »[6] En vertu de l’art. 56 de cet Acte, les conseillers de la République n’étaient pas désignés par le peuple. Selon le désignant, il existait trois catégories des conseillers de la République : ceux désignés par la CNS, les députés de l’ancienne Assemblée nationale ayant participé en cette qualité à la CNS et des négociateurs aux concertations politiques du Palais du Peuple qui n’étaient ni conseillers de la République, ni députés. Dans ce système où les parlementaires ne sont pas des mandataires du peuple, il est défendable que soit prévu que du moment qu’on n’a plus de mandat on cède la place au nouveau mandataire sur la décision du mandant. Cela n’aurait pas été le cas, si le mandant était le corps électoral.
3. L’article
102 de la proposition de Constitution de la CNS de Novembre 1992
L’article 102 de la proposition de Constitution de
la CNS dispose : « Sans
préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, tout sénateur ou
tout député qui quitte délibérément son parti ou son groupement politique,
durant la législature, est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu
dans le cadre dudit parti ou groupement politique. » Dans cette proposition de
constitution de la CNS qui n’a jamais été soumise au référendum pour entrer en
vigueur, il était prévu que la représentation soit assurée par les institutions
et non par les députés et les sénateurs. En effet, aux termes de son article
73, le Sénat représente les provinces et la ville de Kinshasa (al. 2), la
Chambre des députés représente la République fédérale prise dans son ensemble
(al. 3). On pourrait en déduire que les parlementaires représentent leurs partis
ou groupements politiques. Aussi, du moment qu’ils les quittent, ils n’ont plus
de mandat et cessent ipso facto d’être
parlementaires.
4. L’Accord global et
inclusif, signé à Pretoria le 17. 12. 2002 et adopté à Sun
City le 1er avril 2003
La
disposition du dernier alinéa de l’article 110 de la Constitution a pour
antécédent immédiat l’Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique
du Congo. Celui-ci a constitué, avec la Constitution de la Transition du 4 avril
2003, le bloc constitutionnel relatif à l’organisation du pouvoir durant la
transition congolaise (art. 1 Cst Tr). En tant qu’aboutissement du Dialogue dit
intercongolais, il visait à la sauvegarde des intérêts du
gouvernement de l’époque, des mouvements politico-militaires commués en partis
politiques, des partis politiques traditionnels et de la société civile. Ce but
est concrétisé par le fameux principe du « partage équitable et équilibré »
appliqué à toutes les institutions et ayant même engendré un système avec une
présidence de la République quinquacéphale (art. 80 al. 1er Cst Tr).
On retiendra
qu’aucun antécédent n’envisageait un régime discriminatoire relatif à la fin du
mandat des parlementaires. De plus, aucun des systèmes constitutionnels ne
prévoyait la catégorie d’indépendants parmi les parlementaires. Aussi, la
question de l’égalité de traitement de différentes catégories d’élus pour le
mandat législatif ne pouvait pas se poser, comme il se pose aujourd’hui au
regard du dernier alinéa de l’article 110 de la Constitution.
II.
L’inégalité constitutionnelle entre les parlementaires
1.
Le problème
La
Constitution reconnaît trois statuts de parlementaires liés à la présentation
de candidatures : ceux qui ont été présentés par des partis politiques,
ceux présentés par les regroupements politiques et ceux qui se sont présentés
en indépendants (cf. art 101 al. 2 et 104 al. 2 Cst).
L’article 110,
dernier alinéa, de la Constitution prévoit qu’un parlementaire « qui
quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé
renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti politique ».
La lettre de cette de cette disposition ne concerne pas les indépendants et les
membres des regroupements politiques. La seconde catégorie ne pose pas de problème,
car le fait de quitter un regroupement politique équivaut à quitter par le fait
même son parti politique. Partant, cette disposition la concerne, sous réserve
d’une situation exceptionnelle où un parlementaire prétendrait quitter un
regroupement politique sans abandonner son parti. Dans ce dernier cas, on
pourrait examiner la question à l’instar de la situation d’un parlementaire
indépendant. Celui-ci n’est pas du tout concerné par cette hypothèse de fin de
mandat, ni directement, ni indirectement. Il se retrouve en situation de faveur
par rapport aux parlementaires d’autres catégories. Aussi, peut-il cesser
d’être indépendant et devenir membre d’un parti politique sans que prenne fin
son mandat de parlementaire. C’est ici que se pose la question de l’égalité de
traitement.
2. L’exigence du principe de l’égalité entre les parlementaires
Le principe de l’égalité veut que soient traités de la même manière les cas semblables et de manière différente les cas dissemblables[7]. Ainsi, chaque parlementaire doit être placé sur un strict pied d’égalité avec chaque autre parlementaire[8]. Le traitement différent doit se fonder sur un critère pertinent et apte à poursuivre un intérêt public. En l’espèce, la discriminante de la présentation à la candidature de parlementaire n’est pas défendable au regard du critère de la représentation.
En effet, la
Constitution prévoit que la mission des parlementaires nationaux, quelle que
soit leur provenance politique, est de représenter la Nation pour les députés
(art. 101 al. 3) et les provinces pour les sénateurs (art. 104 al. 3). Ils
sont élus respectivement au suffrage universel direct (art. 101 al.1) et au
second degré par les assemblées provinciales (art. 104 al. 4). Les
parlementaires ne représentent donc ni leurs partis politiques[9],
ni leurs intérêts personnels. C’est pourquoi le dernier alinéa de l’article 110
de la Constitution est intrinsèquement inégalitaire et est incompatible avec une
autre norme constitutionnelle qui consacre le principe de l’égalité (art. 11 Cst)[10].
Certes, les
dispositions constitutionnelles ont une valeur égale et qu’il n’existe pas a priori de hiérarchie entre elles. Mais
la cohérence du système exige qu’elles respectent les principes piliers d’un
État de droit, tel qu’en l’espèce, celui de l’égalité de traitement.
À noter que l’hypothèse du parlementaire qui est réputé avoir renoncé à son mandat du fait de quitter délibérément son parti politique semble protéger les partis politiques contre le débauchage de leurs membres. Mais on peut aussi y découvrir la protection de la confiance du peuple dans ses élus. Ceux-ci doivent respecter le principe de la bonne foi au sens de loyauté et de respect des engagements pris et manifestés.
Quel que soit le bien juridique qu’elle protège, la disposition est discriminatoire, car un parlementaire indépendant qui abandonnerait son statut pour devenir membre d’un parti politique n’est pas réputé avoir renoncé à son mandat parlementaire. En outre, elle ne paraît pas matériellement de même rang constitutionnel que le principe d’égalité.
*****
Le critère de
la discriminante entre les parlementaires, à savoir leur appartenance politique,
n’est pas pertinent au regard du mandat dont ils sont revêtus. Par respect pour
leur égalité de traitement, trois solutions peuvent être envisagées. Il
faudrait, soit interpréter égalitairement la disposition du dernier alinéa de
l’article 110 Cst en l’étendant analogiquement aux indépendants, soit la supprimer
purement et simplement, soit la rendre conforme à l’égalité de traitement en la
modifiant de manière à ce qu’elle soit applicable à toute catégorie de
parlementaires. La première solution violerait la lettre de la disposition sous
examen qui est suffisamment claire, ne dirimerait pas l’inégalité intra legem et maintiendrait la controverse
doctrinale, même après une décision juridictionnelle allant dans ce sens. La
deuxième solution serait une consécration silencieuse de l’opportunisme
politique trahissant la confiance du corps électoral dans la loyauté de ses
représentants. La dernière solution, enfin, semble être en porte à faux avec la
mission des parlementaires qui ne consiste pas à représenter leurs
appartenances politiques, mais la Nation congolaise et les provinces Néanmoins,
sans être la meilleure, cette solution paraît la moins pire de toutes.
Professeur
Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
Docteur en
droit
[1] Constitution et Cst désignent
la Constitution actuellement en vigueur ; Cst Tr renvoie à la Constitution
de la Transition du 3 avril 2003.
[2] Journal officiel de la République
du Zaïre, Moniteur Congolais, n° 14 du 17.5.1967.
[3] Journal officiel de la
République du Zaïre (35e année), n° spécial, avril 1994.
[4] Les
deux derniers textes peuvent être trouvés sur internet. Il suffit d’aller sur
http://www.google.fr
[5] Moniteur congolais, n° 14 du 15. 7.
1967, p. 556, col. II, sous : Deuxième partie : commentaires article
par article ; Titre III : Des pouvoirs ; Section II : Du
pouvoir législatif.
[7] Voir Andreas AUER / Giorgio
MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit
constitutionnel suisse, Volume II : Les droits fondamentaux, Deuxième édition, Stämpfli, Berne 2006, p.
484-486).
[8] Voir Henri OBERDOFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales,
2e édition, Lextenso, Paris 2010, p. 330. Introduisant à cette page le
paragraphe sur l’affirmation de l’égalité, l’auteur
note : « Chaque homme est placé sur un strict pied d’égalité
avec chaque autre homme. »
[9] À noter que, conformément à
ses statuts, un parti politique pourrait toujours se retourner contre son
membre l’ayant quitté délibérément pour se faire indemniser ou rembourser, au
cas où il aurait subi un préjudice ou aurait financé sa campagne électorale, en
s’adressant, le cas échéant, à la juridiction compétente.
[10] À la rigueur,
on accepterait une pareille cause pour un parlementaire qui cesserait de
représenter sa nation au profit d’une nation étrangère ou qui acquerrait une
nationalité étrangère.
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