mercredi 9 avril 2014

La fin du mandat des parlementaires et l'égalité de traitement dans la la Constitution RDC





La fin du mandat des parlementaires et l’exigence du principe d’égalité de traitement


La fin du mandat des parlementaires est réglée à l’article 110 de la constitution congolaise qui a la teneur suivante : « Le mandat de député national ou de sénateur prend fin par : 1. expiration de la législature ; 2. décès ; 3. démission ; 4. empêchement définitif ; 5. incapacité permanente ; 6. absence non justifiée et non autorisée à plus d’un quart des séances d’une session ; 7. exclusion prévue par la loi électorale ; 8. acceptation d’une fonction incompatible avec le mandat de député ou de sénateur ; 9. condamnation irrévocable à une peine de servitude pénale principale pour infraction intentionnelle.
Toute cause d’inéligibilité, à la date des élections, constatée ultérieurement par l’autorité judiciaire compétente entraîne la perte du mandat de député national ou de sénateur. Dans ces cas, il est remplacé par son premier suppléant.
Les différentes causes extinctives du mandat des députés et sénateurs sont classiques et ne requièrent pas, du moins selon moi, de commentaire spécial, à l’exception de celle que prévoit le dernier alinéa. Cette disposition qui est tributaire d’une certaine tradition constitutionnelle congolaise (I) consacre une inégalité entre les parlementaires (II).
I. Les antécédents dans la tradition constitutionnelle
L’article 110 alinéa 4 de la Constitution[1] a quatre antécédents dans la tradition constitutionnelle : l’article 39 de la Constitution de 1967[2] ; l’article 63 alinéa 2 de l’Acte constitutionnel de la Transition de 1994[3] ; l’article 102 de la proposition de constitution de la Conférence nationale souveraine (CNS) de novembre 1992 et l’Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique du Congo, signé à Pretoria le 17. 12. 2002 et adopté à Sun City le 1er avril 2003 (Accord global et inclusif)[4]. J’en apprécierai la pertinence au regard de leur cohérence interne avec la représentation parlementaire telle qu’elle est définie par les textes dont ils font partie.
1. L’article 39 de la Constitution du 24 juin 1967
D’après l’article 39 de la Constitution de 1967, « lorsque s’étant présenté sur la liste d’un parti politique, un député cesse d’appartenir à ce parti, il perd son mandat à l’Assemblée nationale et il y est remplacé par son suppléant ». Voici le commentaire qu’en fait le législateur lui-même : « dans l’esprit de l’article 39, lorsqu’un candidat se présente sur la liste d’un parti, il prend, par là même, l’engagement devant ce parti et devant le corps électoral de respecter les statuts et le programme de ce parti. Il ne pourra donc pas, une fois élu, changer de parti ou se libérer, à son gré, de l’engagement qu’il a pris de respecter les statuts et le programme de son parti. C’est pourquoi lorsqu’un député membre cesse d’être membre d’un parti, il perd son mandat à l’Assemblée nationale et il y est remplacé par son suppléant. »[5]
Dans le système monocaméral prévu par l’article 36 (al. 1) de la Constitution de 1967, les députés à l’Assemblée nationale représentent la nation (al. 2). On est ici dans un système où le scrutin porte exclusivement sur les listes et non sur les candidats. Dans ce  premier système on choisit un parti et non la personne qui le représente. Dès lors, il est soutenable de prévoir dans ce système que l’abandon de son parti équivaille à la cessation du mandat de parlementaire, d’autant plus que l’article 4, alinéa 2 prévoyait qu’ « il ne peut être créé plus de deux partis dans la République.
2. L’article 63 alinéa 2 de l’Acte constitutionnel de la Transition du 9 avril 1994
L’article 63 alinéa 2 de l’Acte constitutionnel de la Transition est ainsi libellé : « En vue de sauvegarder l’équilibre entre les forces politiques et sociales, les partis politiques, les institutions publiques et les associations civiles, auxquels appartiennent les membres sortants pourvoient à la vacance ainsi créée en désignant le remplaçant parmi les anciens conférenciers ou les suppléants de l’ancienne Assemblée Nationale. »[6] En vertu de l’art. 56 de cet Acte, les conseillers de la République n’étaient pas désignés par le peuple. Selon le désignant, il existait trois catégories des conseillers de la République : ceux désignés par la CNS, les députés de l’ancienne Assemblée nationale ayant participé en cette qualité à la CNS et des négociateurs aux concertations politiques du Palais du Peuple qui n’étaient ni conseillers de la République, ni députés. Dans ce système où les parlementaires ne sont pas des mandataires du peuple, il est défendable que soit prévu que du moment qu’on n’a plus de mandat on cède la place au nouveau mandataire sur la décision du mandant. Cela n’aurait pas été le cas, si le mandant était le corps électoral.
3. L’article 102 de la proposition de Constitution de la CNS de Novembre 1992
L’article 102 de la proposition de Constitution de la CNS dispose : « Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, tout sénateur ou tout député qui quitte délibérément son parti ou son groupement politique, durant la législature, est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti ou groupement politique. » Dans cette proposition de constitution de la CNS qui n’a jamais été soumise au référendum pour entrer en vigueur, il était prévu que la représentation soit assurée par les institutions et non par les députés et les sénateurs. En effet, aux termes de son article 73, le Sénat représente les provinces et la ville de Kinshasa (al. 2), la Chambre des députés représente la République fédérale prise dans son ensemble (al. 3). On pourrait en déduire que les parlementaires représentent leurs partis ou groupements politiques. Aussi, du moment qu’ils les quittent, ils n’ont plus de mandat et cessent ipso facto d’être parlementaires.
4. L’Accord global et inclusif, signé à Pretoria le 17. 12. 2002 et adopté à Sun City le 1er avril 2003
La disposition du dernier alinéa de l’article 110 de la Constitution a pour antécédent immédiat l’Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique du Congo. Celui-ci a constitué, avec la Constitution de la Transition du 4 avril 2003, le bloc constitutionnel relatif à l’organisation du pouvoir durant la transition congolaise (art. 1 Cst Tr). En tant qu’aboutissement du Dialogue dit intercongolais, il visait à la sauvegarde des intérêts du gouvernement de l’époque, des mouvements politico-militaires commués en partis politiques, des partis politiques traditionnels et de la société civile. Ce but est concrétisé par le fameux principe du « partage équitable et équilibré » appliqué à toutes les institutions et ayant même engendré un système avec une présidence de la République quinquacéphale (art. 80 al. 1er Cst Tr).
On retiendra qu’aucun antécédent n’envisageait un régime discriminatoire relatif à la fin du mandat des parlementaires. De plus, aucun des systèmes constitutionnels ne prévoyait la catégorie d’indépendants parmi les parlementaires. Aussi, la question de l’égalité de traitement de différentes catégories d’élus pour le mandat législatif ne pouvait pas se poser, comme il se pose aujourd’hui au regard du dernier alinéa de l’article 110 de la Constitution.  
II. L’inégalité constitutionnelle entre les parlementaires
1. Le problème
La Constitution reconnaît trois statuts de parlementaires liés à la présentation de candidatures : ceux qui ont été présentés par des partis politiques, ceux présentés par les regroupements politiques et ceux qui se sont présentés en indépendants (cf. art 101 al. 2 et 104 al. 2 Cst).
L’article 110, dernier alinéa, de la Constitution prévoit qu’un parlementaire « qui quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti politique ». La lettre de cette de cette disposition ne concerne pas les indépendants et les membres des regroupements politiques. La seconde catégorie ne pose pas de problème, car le fait de quitter un regroupement politique équivaut à quitter par le fait même son parti politique. Partant, cette disposition la concerne, sous réserve d’une situation exceptionnelle où un parlementaire prétendrait quitter un regroupement politique sans abandonner son parti. Dans ce dernier cas, on pourrait examiner la question à l’instar de la situation d’un parlementaire indépendant. Celui-ci n’est pas du tout concerné par cette hypothèse de fin de mandat, ni directement, ni indirectement. Il se retrouve en situation de faveur par rapport aux parlementaires d’autres catégories. Aussi, peut-il cesser d’être indépendant et devenir membre d’un parti politique sans que prenne fin son mandat de parlementaire. C’est ici que se pose la question de l’égalité de traitement.
2. L’exigence du principe de l’égalité entre les  parlementaires
Le principe de l’égalité veut que soient traités de la même manière les cas semblables et de manière différente les cas dissemblables[7]. Ainsi, chaque parlementaire doit être placé sur un strict pied d’égalité avec chaque autre parlementaire[8]. Le traitement différent doit se fonder sur un critère pertinent et apte à poursuivre un intérêt public. En l’espèce, la discriminante de la présentation à la candidature de parlementaire n’est pas défendable au regard du critère de la représentation.
En effet, la Constitution prévoit que la mission des parlementaires nationaux, quelle que soit leur provenance politique, est de représenter la Nation pour les députés (art. 101 al. 3) et les provinces pour les sénateurs (art. 104 al. 3). Ils sont élus respectivement au suffrage universel direct (art. 101 al.1) et au second degré par les assemblées provinciales (art. 104 al. 4). Les parlementaires ne représentent donc ni leurs partis politiques[9], ni leurs intérêts personnels. C’est pourquoi le dernier alinéa de l’article 110 de la Constitution est intrinsèquement inégalitaire et est incompatible avec une autre norme constitutionnelle qui consacre le principe de l’égalité (art. 11 Cst)[10].
Certes, les dispositions constitutionnelles ont une valeur égale et qu’il n’existe pas a priori de hiérarchie entre elles. Mais la cohérence du système exige qu’elles respectent les principes piliers d’un État de droit, tel qu’en l’espèce, celui de l’égalité de traitement.
À noter que l’hypothèse du parlementaire qui est réputé avoir renoncé à son mandat du fait de quitter délibérément son parti politique semble protéger les partis politiques contre le débauchage de leurs membres. Mais on peut aussi y découvrir la protection de la confiance du peuple dans ses élus. Ceux-ci doivent respecter le principe de la bonne foi au sens de loyauté et de respect des engagements pris et manifestés.
Quel que soit le bien juridique qu’elle protège, la disposition est discriminatoire, car un parlementaire indépendant qui abandonnerait son statut pour devenir membre d’un parti politique n’est pas réputé avoir renoncé à son mandat parlementaire. En outre, elle ne paraît pas matériellement de même rang constitutionnel que le principe d’égalité.


*****

Le critère de la discriminante entre les parlementaires, à savoir leur appartenance politique, n’est pas pertinent au regard du mandat dont ils sont revêtus. Par respect pour leur égalité de traitement, trois solutions peuvent être envisagées. Il faudrait, soit interpréter égalitairement la disposition du dernier alinéa de l’article 110 Cst en l’étendant analogiquement aux indépendants, soit la supprimer purement et simplement, soit la rendre conforme à l’égalité de traitement en la modifiant de manière à ce qu’elle soit applicable à toute catégorie de parlementaires. La première solution violerait la lettre de la disposition sous examen qui est suffisamment claire, ne dirimerait pas l’inégalité intra legem et maintiendrait la controverse doctrinale, même après une décision juridictionnelle allant dans ce sens. La deuxième solution serait une consécration silencieuse de l’opportunisme politique trahissant la confiance du corps électoral dans la loyauté de ses représentants. La dernière solution, enfin, semble être en porte à faux avec la mission des parlementaires qui ne consiste pas à représenter leurs appartenances politiques, mais la Nation congolaise et les provinces Néanmoins, sans être la meilleure, cette solution paraît la moins pire de toutes.  

Professeur Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE
Docteur en droit



[1] Constitution et Cst désignent la Constitution actuellement en vigueur ; Cst Tr renvoie à la Constitution de la Transition du 3 avril 2003.
[2] Journal officiel de la République du Zaïre, Moniteur Congolais, n° 14 du 17.5.1967.
[3] Journal officiel de la République du Zaïre (35e année), n° spécial, avril 1994.
[4] Les deux derniers textes peuvent être trouvés sur internet. Il suffit d’aller sur http://www.google.fr
[5] Moniteur congolais, n° 14 du 15. 7. 1967, p. 556, col. II, sous : Deuxième partie : commentaires article par article ; Titre III : Des pouvoirs ; Section II : Du pouvoir législatif.
[6] Journal officiel de la République du Zaïre (35e année), n° spécial, avril 1994.
[7] Voir Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Volume II : Les droits fondamentaux, Deuxième édition, Stämpfli, Berne 2006, p. 484-486).
[8] Voir Henri OBERDOFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 2e édition, Lextenso, Paris 2010, p. 330. Introduisant à cette page le paragraphe sur l’affirmation de l’égalité, l’auteur note : « Chaque homme est placé sur un strict pied d’égalité avec chaque autre homme. »
[9] À noter que, conformément à ses statuts, un parti politique pourrait toujours se retourner contre son membre l’ayant quitté délibérément pour se faire indemniser ou rembourser, au cas où il aurait subi un préjudice ou aurait financé sa campagne électorale, en s’adressant, le cas échéant, à la juridiction compétente.
[10] À la rigueur, on accepterait une pareille cause pour un parlementaire qui cesserait de représenter sa nation au profit d’une nation étrangère ou qui acquerrait une nationalité étrangère.

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