L’échéance du délai constitutionnel pour la
mise en place des nouvelles provinces au Congo-Kinshasa
Actuellement, le débat sur l’application de l’article 2 al. 1, 2 et 5 de
la Constitution dans le respect du délai de 36 mois de l’article 226 focalise
l’attention sur ce qui doit être fait à l’échéance de ce délai[1]. L’opinion
a fixé la date d’expiration de ce délai au 14 mai 2010, trente six mois après l’installation
du Bureau définitif du Sénat. Cette opinion largement répandue considère le 14
mai 2007 comme le point de départ de la computation de ce délai, en se fondant
sur la notion, non définie officiellement, d’ « installation
effective des institutions politiques ». C’est pourquoi, il m’a paru utile
d’apporter ma modeste contribution à ce débat.
La Constitution parle tantôt d’installation, tantôt d’installation
effective. S’agit-il des deux référents différents ou de deux cérémonies
différentes d’installation ? Existe-t-il une distinction constitutionnelle
entre installation et installation effective ? Ces questions gardent toute leur pertinence,
car sans les définir, la Constitution utilise les deux expressions, l’une
s’appliquant exclusivement aux institutions politiques et l’autre au Parlement
et aux autres institutions, voire à certains organes[2]. Il
sied, dès lors, de les décrypter pour savoir si elles renvoient à des réalités
différentes ou si elles disent finalement la même chose. Après, il sera précisé
l’acte qui marque l’installation effective de chaque institution politique,
pour déterminer l’institution politique qui a été installée en dernier lieu.
Cette détermination permettra de fixer l’échéance du délai constitutionnel de
36 mois ouvrant à une inconstitutionnalité de la composition actuelle des
provinces.
I. Notion d’installation et d’installation effective
1. L’utilisation des notions dans la Constitution
Dans la
Constitution congolaise, on utilise tantôt installation, tantôt installation
effective (les dispositions constitutionnelles). L’installation effective n’est
utilisée que pour les institutions politiques à l’exclusion de l’institution
judiciaire qui constitutionnellement est apolitique. Installation effective du
nouveau Président élu (art. 70 al. 2) ; installation effective des
institutions politiques correspondantes (art. 222 al. 1) et installation
effective des institutions politiques (art. 226).
Ensuite, il
y est fait allusion dans les cas où une ancienne institution doit être
remplacée par une nouvelle. Cette dernière doit être effectivement installée
pour que la première cède la place. Dès lors, on peut se demander si la notion d’installation
effective ne peut s’appliquer que lorsque ces deux conditions cumulatives sont
remplies : être en présence d’une nouvelle institution politique ;
celle-ci doit être appelée à remplacer une ancienne. Et donc, lorsque ces deux
conditions ne sont pas réalisées, on ne pourrait pas parler d’installation effective.
Dans ce cas, il ne serait question que d’installation tout court.
2. Différence apparente entre installation et installation effective
Le fait que la Constitution utilise installation et installation
effective amène à penser que les deux expressions renvoient à deux référents
différents. Mais en en décryptant le sens, on peut se rendre compte que la
différence n’est pas aussi évidente qu’on peut le penser.
D’après Gérard CORNU, l’installation est l’action d’établir ou
d’investir autrui dans une fonction, de l’investir. Elle est aussi le résultat
de cette action[3]. L’installation-action est
une activité, un processus de mise en place, tandis l’installation-résultat est
l’aboutissement de ce processus. Effectif (effective) signifie ce qui a été
réalisé, accompli. Une installation effective est une installation accomplie,
réalisée[4]. Elle
correspond à l’installation-résultat. Dès lors, on peut soutenir que
l’installation effective n’est qu’une installation achevée au sens de résultat.
Aussi, le qualificatif « effective » est superflu.
Appliquée à une institution, l’installation est l’investiture, l’établissement
dans la fonction et non l’adoption des actes matériels relatifs à la fonction
de l’institution. Cette mise en place ne renvoie pas absolument à la mise en
place de tous les organes de l’institution ni à l’exercice de sa
compétence principale. Sinon, on réduirait l’institution d’une part à ses
organes et d’autre part à fonction. Or les organes sont des instruments de
l’institution et ne se confondent pas avec elle. L’institution existe
indépendamment de ses organes, même si elle agit par eux. On ne peut donc pas
conditionner l’existence d’une institution à celle de ses organes. En outre, la
mise en place des organes fait partie des activités (compétences) de
l’institution, si bien que dès lors qu’elle peut agir comme institution, son
installation est effective, c’est-à-dire réalisée. De l’autre côté, la fonction
ne peut être accomplie que par une institution établie. Du moment qu’une institution est capable de
réaliser ce qu’aucune autre institution ne peut accomplir à sa place, elle est
installée.
On m’objectera qu’il y a peut-être un sens spécifique que la Constituant
a voulu conférer à l’installation en lui collant l’adjectif
« effective ». L’installation effective d’une
institution politique correspondrait alors avec la mise en place de tous les
organes de cette institution, de sorte que si l’un d’eux n’est pas installé,
l’effectivité de l’installation n’est pas atteinte. À cela, je répliquerais que
les autres institutions pour lesquelles la Constitution n’utilise pas le même
adjectif n’ont-elles pas d’organes ? Mais si l’adjectif ne s’applique
qu’aux institutions politiques, quelle est la différence entre l’installation
(non effective) du Parlement au sens de l’article 222 al 2 et son installation
effective, en tant qu’institution politique, au sens du premier alinéa du même
article et de l’article 226 ?
De plus, si
installation est une action dynamique et installation effective résultat de
l’action, alors, il suffit que l’action d’installer soit déclenchée pour que
les dispositions constitutionnelles prévoyant l’installation d’institutions non
politiques puissent être réalisées. Cette opinion irait à l’encontre de
l’esprit même de la Constitution qui vise plutôt l’effectivité de
l’installation de nouvelles institutions pour que disparaissent les anciennes[5].
À parler
strictement, on ne peut effectuer l’installation d’une institution qui ne soit
pas en même temps et toujours une installation effective, sinon il s’agit d’un
processus d’installation. Pour une institution, il n’existe donc pas de
différence, sous cet angle de vue, entre installation et installation effective.
Cette dernière épithète paraît donc superflue, même si elle figure dans la
Constitution. En conséquence, la différence entre installation et installation
effective ne serait qu’apparente.
Dès lors, la discussion relative à l’article 226 devrait porter non pas
sur le faux débat de l’installation effective, mais sur quelle institution
politique a été installée en dernier lieu, afin de préciser la date a quo de la computation du délai
constitutionnel de trente six mois.
II. Installation effective des institutions politiques
Deux dispositions parlent d’« l’installation
effective des institutions politiques » : l’article 222 al.1 et
l’article 226. Ces dispositions font partie du droit inter-temporel
réglementant la période transitoire et visant
à assurer la continuité du fonctionnement des services étatiques, pour éviter
ainsi un vide institutionnel[6]. Elles
permettent aux anciennes institutions politiques de
continuer à fonctionner, en attendant l’installation des nouvelles.
Une institution politique est celle qui exerce une portion du pouvoir
politique. Celui-ci s’entend un pouvoir suprême dirigeant toute la vie de la
société et pour l’exercice duquel sont institués les pouvoirs publics
constitutionnels. Ces pouvoirs sont le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire.
Les deux premiers pouvoirs ont un mandat politique qui correspond en principe à
la durée de la législature. Ce mandat passe par la conception et la mise en
œuvre d’un programme pour le maintien au pouvoir, avec des stratégies
auxquelles prennent part les citoyens et les partis politiques[7]. Ainsi
donc, parmi les institutions de la République que définit l’article 68 de la
Constitution, seuls le Président de la République, le Parlement et le
Gouvernement sont des institutions politiques.
Les Cours et Tribunaux, ayant pour mission essentielle de dire le droit,
ne peuvent être qu’apolitiques[8].
1. L’installation effective du Président de la République
L’article 70 al. 2 dispose : « À la fin de son mandat, le Président
de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau
Président élu. » Cette disposition passe pour une lex specialis par rapport à l’article 222 al. 1.
Du cumul des
articles 70 et 74, on peut inférer que l’installation effective du Président de
la République équivaut à son investiture, après la prestation de serment devant
la Cour constitutionnelle. Cette prestation de serment précède obligatoirement
l’entrée en fonction. L’actuel Président de la République a été installé le 6 décembre
2006. On ne peut donc pas soutenir que son investiture est une simple
installation et que l’occupation subséquente de ses bureaux est l’installation
effective.
2. L’installation effective du Parlement
En vertu de
l’article 100 al. 1, le Parlement est composé de deux Chambres, l’Assemblée
nationale et le Sénat. L’installation effective du Parlement c’est la mise en
place de ses deux Chambres. D’après les articles 103, al. 2 et 105 al. 2, le
mandat d’un parlementaire, député national ou sénateur, commence à la
validation des pouvoirs par la Chambre à laquelle il appartient et expire à
l’installation de la nouvelle Chambre. Pour cette validation des pouvoirs,
chaque Chambre du Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire
le quinzième jour suivant la proclamation des résultats par la CENI[9],
ainsi que le précise l’article 114[10].
Au cours de
cette session extraordinaire, chaque Chambre procédera aux quatre actes
suivants : l’installation du Bureau provisoire dirigé par le doyen d’âge
assisté des deux les moins âgés ; la validation des pouvoirs, l’élection et
l’installation du Bureau définitif ; l’élaboration et l’adoption du
Règlement intérieur. Cette réunion de plein droit des chambres du Parlement
n’équivaut-elle pas à son installation ?
Conformément
à l’article 114 al. 1, les deux Chambres se sont réunies le quinzième jour
après la proclamation par la CEI des résultats respectifs de l’élection des
Députés et des Sénateurs. La liste des premiers a été publiée le 8 septembre
2006 et l’Assemblée nationale s’est réunie le 22 septembre 2006 ; celle
des seconds a été rendue publique le 19 janvier 2007 et la session
extraordinaire du Sénat s’est ouverte le 3 février 2007.
Dès cette
date, le Parlement congolais était effectivement installé. La CSJ est du même avis dans un arrêt
contestable « reconduisant » et « prorogeant » le mandat de
la défunte juridique CEI, en violation de l’article 222 al. 2, mais au nom du
principe de la continuité des institutions. Agissant comme Cour
constitutionnelle, elle reconnaît que l’installation du Parlement a eu lieu le
3 février 2007[11].
Il est donc
injustifié de soutenir que l’installation effective du Parlement coïncide avec l’installation
du Bureau définitif du Sénat. Cette métonymie qui relèverait d’une interprétation
davantage politique que juridique est inadmissible. Il est nécessaire de
distinguer l’institution de ses organes. L’institution existe mais agit par ses
organes. En l’espèce, c’est le Sénat lui-même qui constitue ses organes. Cette
constitution n’est possible que si la Chambre haute a été effectivement installée.
En d’autres termes, l’installation du Sénat ne doit pas se réduire à
l’installation de son Bureau définitif, l’installation étant son fait et le
Bureau un de ses organes.
Ainsi donc,
l’installation du Parlement est devenue effective après la validation des
pouvoirs des Députés et Sénateurs leur permettant de siéger valablement et d’exercer les compétences qui leur sont
attribuées par la Constitution. La validation des pouvoirs
des pouvoirs des Sénateurs a eu lieu au cours de la session inaugurée le 3
février 2007, avant l’investiture du Gouvernement.
Il suit de
là que la dernière institution politique à être effectivement installée n’est
pas le Parlement selon une opinion largement répandue dans les médias, mais le
Gouvernement.
3. L’installation effective du Gouvernement
D’après
l’article 90 al. 1, le Gouvernement est composé du Premier ministre, de
ministres, de vice-ministres et, le cas échéant, de Vice-premiers ministres, de
ministres d’État et de ministres délégués. En vertu de l’article 91 al. 1 et 2,
c’est lui qui définit, en concertation avec le Président de la République, la
politique de la Nation, la conduit et en assume la responsabilité.
L’installation
effective du Gouvernement a lieu, non pas à la désignation du Premier ministre,
ni à celle d’autres membres, mais après son investiture par l’Assemblée
nationale au sens de l’article 90 al. 4. Cette investiture intervient après
approbation à la majorité qualifiée par l’Assemblée nationale du Programme que
lui aura présenté le Gouvernement. Une fois investi donc, le Premier
Gouvernement peut entrer en fonction. L’installation effective n’est donc pas
l’acte matériel de remise-reprise que doit effectuer chaque ministère. C’est
plutôt l’investiture du premier Gouvernement Gizenga qui a eu lieu le 27
février 2007. Le Gouvernement étant le dernier à être installé, c’est à partir
du 28 février qu’il faut compter le délai des 36 mois.
******
Il résulte
de cette étude que pour moi, l’installation effective d’une institution a lieu
après l’acte juridique qui habilite celle-ci à exercer ses compétences
constitutionnelles. Il ne faut pas pour cela qu’elle pose nécessairement un
seul acte relatif à ces compétences. Aussi, pour les institutions politiques
nationales, l’installation effective intervient-elle pour le Président de la
République, après la prestation de serment, pour le Gouvernement après son
investiture et pour le Parlement, après validation des pouvoirs des Députés et Sénateurs.
Le Gouvernement
ayant été la dernière institution politique à être installée, c’est le
lendemain de son investiture, et donc son « installation effective »,
qui constitue le point de départ de la computation des trente six mois de
l’article 226 al. 2 et non le 15 mai, date de l’installation du Bureau
définitif du Sénat. C’est depuis le 27 février 2010 que les trois ans ont été
accomplis. Les 25 provinces créées par l’article 2 sont censées être déjà mises
en place. Il en découle que le Parlement ne pourra légitimement légiférer, en
vertu de l’article 2 al. 5, sur les limites des provinces et de la ville de
Kinshasa, qu’après la révision de l’article 226 al. 2 devenu caduc et donc
inapplicable.
Constantin YATALA NSOMWE
NTAMBWE
Docteur en droit
[1] L’article 2 dispose : « La République Démocratique du Congo
est composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces » (al.1).
« Ces provinces sont : Bas-Uele, Equateur, Haut-Lomami, Haut-Katanga,
Haut-Uele, Ituri, Kasai, Kasai Oriental, Kongo central, Kwango, Kwilu, Lomami,
Lualaba, Kasaï Central, Mai-Ndombe, Maniema, Mongala, Nord-Kivu, Nord-Ubangi,
Sankuru, Sud-Kivu, Sud-Ubangi, Tanganyika, Tshopo, Tshuapa » (al. 2). « Les
limites des provinces et celles de la ville de Kinshasa sont fixées par une loi
organique » (al. 5). Pour sa part, l’article 226 dit : « Les
dispositions de l’alinéa premier de l’article 2 de la présente Constitution
entreront en vigueur endéans trente six mois qui suivront l’installation
effective des institutions politiques prévues par la présente Constitution. En
attendant, la République Démocratique du Congo est composée de la ville de
Kinshasa et de dix provinces suivantes dotées de la personnalité juridique :
Bandundu, Bas-Congo, Equateur, Kasaï-Occidental, Kasaï-Oriental, Katanga,
Maniema, Nord-Kivu, Province Orientale, Sud-Kivu. »
[2] Les articles qui parlent d’installation tout court sont les
suivants: 103 al. 2 (installation de la nouvelle Assemblée nationale), 105 al.
2 (installation du nouveau Sénat), 114 al. 1 ch. 1 et 3 (respectivement :
installation du Bureau provisoire et du Bureau définitif de chaque Chambre du
Parlement), 222 al. 2 (installation du nouveau Parlement), 223 al. 1
(installation de la Cour constitutionnelle), 224 (installation des juridictions
de l’ordre administratif).
[3] Gérard CORNU, Vocabulaire
juridique, 4e éd., Quadrige, Paris 2003, Verbo « installation ».
[4] Ibidem, Verbo « Effectif (ive) ».
[5] À noter qu’un cas de force majeure peut interrompre le processus
d’installation. Dans ce cas, y a-t-il eu installation oui ou non ? La
réponse judicieuse est, sans conteste, négative.
[6] Voir Évariste BOSHAB, «Les dispositions
constitutionnelles transitoires relatives à la Cour constitutionnelle de la
République Démocratique du Congo », Fédéralisme Régionalisme, Volume 7 :
2007 Numéro 1 - Premiers scrutins et
contrôle de constitutionnalité en RDC : la mise en œuvre d’une constitution
"régionaliste" http://popups.ulg.ac.be/federalisme/document.php?id=561,
consulté le 29 janvier 2010.
[7] CORNU, Verbo
« Politique ».
[8] C’est pourquoi, entre autres, la Constitution prévoit
deux dispositions spécifiques pour les Hautes Cours (art. 223) et les Cours
administratives d’appel (art. 224). En attendant leur installation, leurs
compétences sont exercées respectivement la Cour suprême de justice et par les
cours d’appel.
[9] La Constitution ne fait
pas de distinction entre résultats provisoires et résultats définitifs, à
l’instar de l’article 72 de la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des
élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et
locales qui dispose : « La
Cour suprême de justice, la Cour d’appel, le Tribunal de grande instance ou le
Tribunal de paix du ressort selon le cas, proclame les résultats définitifs des
élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et
locales dans les quarante-huit heures qui suivent la transmission des résultats
provisoires si aucun recours n’a été introduit devant ces juridictions. »
En dépit de cette distinction, la Constitution parle de la proclamation par la
CENI appelée à succéder à la CEI. Aussi, le dies
a quo est le jour de la publication des résultats par la CEI.
[10] Cette réunion constitue
l’Assemblée plénière qui est l’organe suprême de chaque chambre au sens de l’article
8 commun aux deux Règlements Intérieurs des deux Chambres.
[11] Arrêt du 27 août 2007, R. Const. 055/ TSR. Sur le commentaire de cet
arrêt, cf. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, La « résurrection
juridique » de la Commission électorale indépendante par la Cour suprême
de justice, in http://www.droitcongolais.info/etudes_particulières.html).
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