La Puissance publique et la
légalité au Congo-Kinshasa
Parler de la
Puissance publique et de la légalité au Congo-Kinshasa c’est poser le problème
de la relation à la loi[1]
des détenteurs de cette puissance dans l’exercice de leurs fonctions. L’étude a
pour point de départ la réflexion sur certains actes contraires à la loi portés
par les autorités publiques, mais qui ne sont pas toujours sanctionnés[2].
En constatant cette illégalité, on peut se demander si, au Congo-Kinshasa, la
Puissance publique est au-dessus de la loi et que celle-ci n’existe que pour
l’administré ou le simple citoyen. De cette interrogation découle une question
corollaire : par quels mécanismes juridiques faut-il exiger le respect de la
légalité par des actes de la Puissance publique? Telle est la problématique du
présent propos que nous développons en trois temps :
1) La Puissance publique et la loi dans un État de droit ;
2) La Puissance publique et la loi au Congo-Kinshasa ;
3) Le Pouvoir judiciaire et le respect de la légalité.
1. La Puissance publique et
la loi dans un État de droit
Dans un État
de droit, la Puissance publique n’est pas au-dessus de la loi, même si elle
peut travailler en amont à la production de celle-ci, en tant que source
matérielle du droit[3]. En
effet, à côté du social, de l’économique, de l’éthique et du religieux, le
politique peut présider à l’adoption d’une loi. Mais une fois adoptée, la loi
s’impose à tout le monde et à tous les domaines de la vie de l’État, sans
aucune exception. Tel est le contenu du principe de la légalité (1.3) qui sera
étudié à la suite des notions de Puissance publique (1.1) et d’État de droit
(1.2).
1.1. La notion de Puissance publique
Il est plus
aisé de constater et de décrire la Puissance publique que d’en élucider la
notion et l’expliquer en profondeur, tant ses modes d’exercice sont bien
connus. Néanmoins, on peut quand même la définir comme l’ensemble des pouvoirs
de l’État et des autres personnes publiques[4].
C’est le premier membre de la définition qui intéresse principalement mon
propos et qui est synonyme du Pouvoir politique. Celui-ci désigne le pouvoir
suprême qui dirige la vie de la société et pour l’exercice duquel sont
institués les pouvoirs publics constitutionnels[5],
c’est-à-dire les autorités immédiatement instituées par la constitution[6].
On peut donc entendre par Puissance publique le Pouvoir étatique fractionné en trois
pouvoirs traditionnels : le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire[7].
L’activité de ce pouvoir suprême doit être effectivement conforme à la loi dans
un État de droit.
1.2. La notion d’État de
droit
La doctrine donne plusieurs définitions de l’État de droit. Mais l’idée récurrente dans
toutes ces définitions est celle d’un système institutionnel dans lequel la Puissance
publique est soumise au droit. Pour s’en rendre compte, nous reprenons ci-après
trois définitions qui permettront d’en déduire les composantes.
D’après Cornu, l’État de droit est une situation résultant, pour une société,
de sa soumission à un ordre juridique excluant l’anarchie et la justice privée.
Dans un sens beaucoup plus restreint, un État de droit est un ordre juridique
dans lequel le respect du droit est réellement garanti aux sujets de droit,
notamment contre l’arbitraire[8].
Favoreu, Gaïa, Ghevontian, Mestre,
Pfersmann, Roux et Scoffoni définissent l’État de droit comme « un système juridique présentant
les propriétés suivantes : 1/ des formulations de normes suffisamment précises
pour que leur application a) permette une orientation claire aux destinataires,
b) ne laisse que la plus faible place possible à l’arbitraire et c) que l’on puisse vérifier la conformité
de l’application aux normes de référence ; 2/ des procédures permettant de
contrôler effectivement la conformité des normes d’application aux normes de
rang supérieur selon le rapport de production. Il s’agit de caractéristiques
[…] strictement formelles et non du contenu souhaité de ces normes.»[9]
De manière synthétique, Pactet et
Mélin-Soucramanien désignent par État de droit celui dans lequel existent « un réseau
normatif bien adapté et une hiérarchisation des normes avec au sommet des
principes à valeur constitutionnelle qui servent de références. »[10]
De ces différentes définitions de l’État
de droit, même si elles n’en épuisent
pas toute la richesse lorsqu’on considère ses origines et son évolution
sémantique, on peut déduire des éléments caractéristiques suivants : la
soumission de toute l’activité étatique au droit, la consécration des droits
fondamentaux, l’existence de la hiérarchie
des normes, le respect du droit
international, le contrôle du juge et la séparation des pouvoirs[11].
Par ailleurs, l’État de droit est à distinguer de l’État-providence ou État
de police (Polizeistaat)
et de l’État légal. Pour Carré de Malberg, «
l’État de police est celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une
façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète,
appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par
elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à
chaque moment les fins qu’elle se propose »[12].
L’État de droit est, quant à lui, « un État qui, dans ses rapports avec ses
sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un
régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des
règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les
autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue
de réaliser des buts étatiques »[13].
L’État légal est à mi-chemin entre l’État de
police et l’État de droit. Dans
cet État, seule l’administration est assujettie au droit, mais
pas le législateur. On y connaît donc le contrôle de la légalité des actes administratifs et non
celui de la constitutionnalité des lois comme dans l’État de droit[14].
Ici, le Puissance publique doit être soumise effectivement à la loi. Il n’en
est pas au-dessus, même si la loi en émane. C’est dans ce sens qu’il faut
situer le principe de légalité.
1.3. Le contenu du principe
de légalité
On entend
par principe de légalité la soumission à la loi, au sens général de norme ou
ensemble de normes, d’un acte juridique ou d’une activité matérielle[15].
Il équivaut à la juridicité et comprend la légalité des actes infra-législatifs
et la constitutionnalité des actes législatifs[16].
C’est un principe constitutionnel qui concerne surtout l’activité
administrative de l’État et qui comprend deux composantes : la suprématie de
la loi (1.3.1) et la réserve ou la base légale[17]
(1.3.2). Il peut être garanti, en amont, par une certaine prévention d’illégalité
des actes des pouvoirs législatif et exécutif (1.3.3).
1.3.1. La suprématie de la loi
La
suprématie de la loi signifie que tous les organes de la Puissance publique
sont soumis à la loi. En d’autres termes, la loi est au-dessus de ces organes. L’idée
sous-jacente est que la loi est l’expression de la volonté du peuple dont les
organes étatiques ne sont que des mandataires. Ce sous-principe affirme la
souveraineté de la loi comme découlant de la souveraineté populaire. Il est aux
antipodes d’un autre principe justifiant le despotisme du prince et qui
s’applique encore de facto dans la
société ecclésiale, par l’institution de la dispense (même si celle-ci est
souvent prévue dans la loi canonique) [18],
et dans plusieurs pays d’Afrique, notamment au Congo-Kinshasa. Ce principe est :
le législateur est au-dessus de la loi. Il s’agit d’une mauvaise interprétation
d’un passage d’Ulpien au Digeste : princeps
a legibus solutus, lequel passage est souvent traduit littéralement par
« le prince n’est pas lié par les lois », véhiculant ainsi une
croyance erronée qu’il avait le droit d’être arbitraire[19].
Pourtant, un autre adage exprime la règle selon laquelle l’auteur d’une norme
est tenu lui-même de la respecter, aussi longtemps qu’il ne la change pas selon
la procédure requise : tu legem
patere quam fecisti « tu (le pouvoir) dois subir la loi que tu as
posée ». En droit administratif, ce principe veut que l’autorité
administrative ayant un acte de portée générale, ne peut pas, par après,
prendre des mesures contredisant cet acte sans l’avoir préalablement modifié[20].
Il faut donc
conjuguer ensemble la liberté du pouvoir à l’égard des lois et le devoir de ce
même pouvoir de respecter la loi pour comprendre que devant une situation
extraordinaire le pouvoir n’est pas lié par la loi en vigueur qui ne permet pas
d’y apporter une solution pour l’intérêt général[21].
C’est une sorte de discrétion qui ne doit pas signifier arbitraire. C’est
pourquoi, confronté à une situation exceptionnelle, l’Empereur Auguste (27 av.
J.-C.-14) avait, déjà à son époque, demandé et obtenu d’être dispensé du
respect des lois. Cela signifie que l’empereur devait respecter la loi tant
qu’elle était en vigueur, mais qu’il pouvait la modifier ou édicter une
nouvelle. Aussi, les monarchies de l’Ancien Régime usèrent-elles d’une
adaptation sans quiproquo : rex
legibus non solutus, « le roi est lié par les lois »[22].
On a là une affirmation expresse de la suprématie de la loi sur le législateur.
La Puissance publique ne doit donc pas s’affranchir du droit en vigueur, sous
peine d’être condamnée à réparation par les tribunaux qu’elle a elle-même
institués[23].
1.3.2. La réserve de la loi
La réserve
de la loi exige que le pouvoir ait une base légale, que l’activité de l’État
soit fondée sur une disposition légale et que tous ses actes soient adoptés
selon la procédure prévue par une loi.
Ce
sous-principe trouve sa concrétisation en droit pénal « Nullum crimen, nulla poena sine lege »,
« Pas de crime, pas de peine sans lois ». Cette concrétisation est
opposable aux autorités judiciaires et à toute autre autorité (par exemple, les
membres des services spéciaux ou de renseignements), du moment qu’elle peut
poursuivre, juger, condamner et faire exécuter les peines corporelles qu’elle-même
a prononcées.
Ainsi donc,
l’acte étatique adopté sans base légale et/ou en violation de la procédure
légale peut être contesté devant une juridiction compétente. Cet acte peut être
par exemple : la fixation de salaires et les frais de missions d’agents de
l’État, l’accomplissement de services publics et de toute activité
administrative, qu’elle soit de prestation ou de restriction. Sans base légale,
un chantier public ne peut pas être décrété, ni un droit constitutionnel être
restreint.
La base
légale est donc une exigence nécessaire qui protège juridiquement le citoyen
contre l’arbitraire de l’autorité publique et cette dernière contre la
suspicion et le risque d’arbitraire et d’illégalité.
1.3.3. La prévention de l’illégalité d’actes normatifs
Pour
prévenir l’illégalité d’actes normatifs, il faudrait prévoir une loi qui oblige
les pouvoirs législatif et exécutif à requérir des avis consultatifs auprès des
juridictions compétentes. Ainsi, les projets de lois formelles, une fois
adoptés par le Parlement et avant leur promulgation, devraient être soumis pour
examen à la Cour constitutionnelle qui produira un avis consultatif sur leur
constitutionalité[24].
Mais pour éviter de surcharger la Cour constitutionnelle, on pourrait imaginer
un système qui reconnaisse aux cours administratives d’appel la même fonction
pour les lois adoptées, et non encore promulguées, par les assemblées
provinciales.
De
même, les projets d’actes législatifs matériels (ordonnances et arrêtés)
adoptés par l’Exécutif devraient, avant leur entrée en vigueur, être soumis au
Conseil d’État pour un avis consultatif sur leur légalité.
De toutes
les façons, dès leur entrée en vigueur, les actes législatifs doivent
effectivement lier tout le monde, y compris ceux qui les ont édictés. Mais tel
n’est pas le cas au Congo-Kinshasa.
2. La Puissance publique et la loi au
Congo-Kinshasa
Au Congo-Kinshasa, certains de ceux qui exercent la Puissance publique
se conduisent comme s’ils étaient au-dessus de la loi. Par leurs actes, ils
violent celle-ci impunément. Ils ne sont pas interpellés, du moins
formellement, par les autorités judiciaires compétentes. C’est ainsi qu’une
certaine « tradition » a été développée qui tient la voie politique
pour l’unique mécanisme de traitement des questions relatives à la conduite des
autorités politiques, abandonnant la voie judiciaire aux simples citoyens. On
se croirait sous l’Ancien Régime en France où la justice exercée au nom de la
couronne ne concernait que les sujets du roi. Cette thèse sera étayée par
l’évocation de quelques cas de violation de la loi par la Puissance publique
(2.1). Elle sera, ensuite, complétée par une réflexion sur la cause de cet état
d’esprit (2.2).
2.1. Quelques cas de
violation manifeste de la loi par le Pouvoir politique
Sous ce titre, on relève quelques cas de violation de la loi par ceux-là
mêmes qui doivent veiller à son respect.
2.1.1. Les arrestations et les détentions arbitraires par
les services de renseignements
En violation de la constitution (art.
16-18), des personnes physiques sont souvent victimes d’arrestations illégales par des services
spéciaux se substituant parfois aux juges et aux autorités d’exécution des
peines qu’eux-mêmes infligent à leurs victimes, en exécution des injonctions
données par les membres du Pouvoir en place. À
ce propos, le Rapporteur spécial a été informé
que « des hommes en uniforme, tels que les militaires et les agents de
l’Agence nationale de renseignements, procèdent fréquemment à des arrestations
et détentions arbitraires, sans que cela soit de leur ressort et pour des faits
qui ne constituent souvent pas des délits. De nombreuses personnes seraient
détenues sans avoir accès ni à leur famille, ni à un juge ou à un avocat, dans
des lieux de détention connus et inconnus »[25]. Tout cela s’accomplit, en violation du droit à un juge légal et
compétent (art.19 al. 1 et 2 cst.) [26]
et du principe de la présomption d’innocence (art. 17 in fine cst.).
Cette situation justifie
les recommandations adoptées par le Sénat le lundi, 12 janvier 2009. La Chambre
haute du Parlement congolais a stigmatisé les arrestations arbitraires, les
détentions illégales et les tortures de plus de 50 personnes. Parmi ces
exhortations faites au gouvernement figurent la révision des procédures
d’arrestations et l’ouverture d’un procès public[27]. Ce que rapporte le site de la radio Okapi[28]
requiert un petit commentaire.
L’interpellation porte sur une situation inadmissible dans un État qui se
veut de droit et qui a ratifié le 18 mars 1996 la Convention du 10 décembre
1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. En interpellant les ministres de l’intérieur, de la défense, de la
justice et des droits humains, le Sénat les invite à faire en sorte que les
agents de l’ordre ainsi que les magistrats respectent la légalité.
Néanmoins, on peut se demander si tel est le rôle du Sénat. En outre,
quel peut être l’effet juridique d’une recommandation ou d’une
exhortation ? Ne vaudrait-il pas la peine d’interpeller plutôt les autorités
judiciaires compétentes afin qu’elles se saisissent d’une telle affaire. C’est
à se demander si les sénateurs congolais prennent sérieusement en compte la
séparation des pouvoirs, laquelle doit être effective et non une coquille
constitutionnelle vide.
D’après la même radio Okapi, ces arrestations et tortures illégales
auraient été justifiées par les ministres interpellés. Ceux-ci auraient
prétendu que les personnes sous les verrous,
en majorité des policiers et des militaires, ont avoué avoir participé à un
mouvement insurrectionnel visant à déstabiliser les institutions[29].
Les institutions visées ne sont pas nommées. De plus, rien n’est révélé sur la
manière dont elles auraient été déstabilisées. À supposer que cela aurait été
le cas, quelques zones d’ombre subsistent. L’autorité qui aurait décidé la
détention de ces personnes est-elle juridiquement compétente ? Ne
fallait-il pas déférer ces présumés criminels devant une autorité judiciaire
compétente ?
Par
ailleurs, on assiste souvent à des procès farfelus et fantaisistes dont l’issue
n’est pas toujours portée à la connaissance du peuple au nom de qui la justice
est rendue (art. 149, al 3 cst.). Les raisons sont notamment les
suivantes : soit ces procès auraient été suspendus sur ordre des autorités
politiques, soit la sentence aurait été prononcée discrètement par des autorités
judiciaires dans le sens des ordres reçus et en violation de la loi. Ces
autorités ne devraient-elles pas répondre de leur illégalité ? On pourrait
me rétorquer en arguant l’existence de la possibilité de recours. Mais l’instance
de recours se trouve exactement dans la même dépendance vis-à-vis de l’Exécutif.
Partant, la question demeure.
2.1.2. L’abus de la détention préventive et le déni de
justice
La détention
préventive peut être définie comme une incarcération dans une maison d’arrêt
d’un individu inculpé de crime de délit, avant le prononcé de jugement,
lorsqu’il y a notamment risque de fuite, de récidive ou de collusion. Elle est
à distinguer de la garde à vue qui est une mesure de police en vertu de
laquelle est retenue dans un local une personne suspecte pour des raisons
d’enquêtes et qui, en droit congolais, ne doit pas excéder quarante huit heures
(art. 18, al. 4 cst.).
L’article 31 du
Décret du 6 août 1959 portant le code de procédure pénale relative à la durée
de la détention préventive, donne une grande discrétion à l’autorité judiciaire.
Si cette norme qui date de l’époque coloniale est encore en vigueur, on peut
théoriquement être mis en détention préventive pendant six mois[30]. En fait, la détention
préventive peut s’étendre sur durée plus longue, ainsi que le rapporte
Reporters sans frontières en prenant acte de la libération le 7 septembre 2007 d’un
journaliste qui a été mis en détention préventive depuis le 21 novembre 2006,
donc pendant presque dix mois[31]. D’où la question de
savoir si un tel délai est raisonnable au sens de l’article 9 al. 3 du Pacte II
de l’ONU auquel le Congo est partie. En toute sincérité, la réponse doit être
négative
L’institution de
la détention préventive, avec un délai aussi élastique, peut être et est facilement
abusée par les autorités judiciaires congolaises. D’après le rapport de l’ONU, la détention préventive
est, en République démocratique du Congo, la règle
plutôt que l’exception. Elle s’applique à un nombre trop élevé d’infractions et
a souvent comme unique but l’obtention d’argent pour la libération du détenu.
La loi établit un délai légal maximum qui n’est généralement pas respecté. L’Émissaire
de l’ONU s’en est rendu compte grâce aux visites qu’il a pu faire aux centres
de détention de Kinshasa et de Bunia. Il a constaté avec une extrême
préoccupation qu’à cause des lenteurs ou parfois de l’absence même de procès,
des hommes, des femmes et des enfants restent souvent des mois, voire des
années, en détention préventive sans qu’un tribunal ait pu établir leur culpabilité[32].
Cet état de chose viole la constitution congolaise qui prescrit en son article
19 al. 2 que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans
un délai raisonnable par le juge compétent.
De plus, le Rapporteur spécial de l’ONU affirme : « dans la
pratique, les procès n’ont souvent pas lieu et quand ils ont lieu, ils sont
extrêmement lents. Les procès qui mettent en cause des officiers militaires ou
autres agents de l’État pour de sérieuses violations de droits de l’homme sont
dans la grande majorité des cas bloqués par des ingérences politiques ou du
commandement militaire, parfois flagrantes, et ne semblent jamais aboutir. Par
contre, l’administration de la justice dans les procès impliquant des opposants
au Gouvernement est souvent très rapide »[33].
Le droit d’obtenir une décision est nécessaire, mais pas suffisante pour
satisfaire totalement à l’interdiction du déni de justice, s’il n’est pas
corrélativement complété par celui de l’obtenir dans un délai raisonnable[34].
Ce dernier droit a pour but d’éviter que les accusés ne demeurent pendant un
temps trop long sous le coup d’une accusation et dans l’incertitude de leur
sort[35].
Violer ce droit est un déni de justice. Celui-ci existe lorsque l’autorité compétente
refuse de statuer ou accuse un retard injustifié (en violation du principe de
célérité)[36].
En l’occurrence, équivaut à un refus de statuer et constitue un déni de justice
le fait de laisser sans décision et en l’absence de justes motifs des justiciables,
même privés de liberté. Ce comportement viole la loi et devrait être sanctionné,
d’autant plus que, dans la plupart des cas, un recours en la matière subit le
même sort.
2.1.3. La bi-plurinationalité de
certaines autorités
On peut relever
une autre violation de la constitution relative à la question de nationalité. D’après
l’article 10 de la constitution, en son premier alinéa in limine, la nationalité congolaise est une et exclusive. Or, il
existe des autorités politiques qui ont une autre nationalité, en plus de la
nationalité congolaise. Comme la question est déjà réglée par la loi
fondamentale, c’est à l’autorité juridictionnelle compétente de vérifier le
respect de la constitution par la CEI (qui a été l’institution d’enregistrement
de candidatures) et par les députés qui ont été élus, tout en étant binationaux
ou plurinationaux.
Cela n’ayant
pas été fait, aussi bien la CEI que ces députés ont violé la constitution. Par
conséquent, l’enrôlement et l’élection de ces derniers peuvent être considérés
comme nuls. Aussi, les membres de la CEI et les députés peuvent être poursuivis
pour faux et usage de faux. La question ressortit donc à la Justice et non à un
autre pouvoir, fût-il l’organe législatif. En effet, la Chambre basse du Parlement
congolais a adopté une solution politique en décrétant un moratoire pour des
députés binationaux ou plurinationaux, afin qu’ils se mettent en règle (il n’y
a pas que des députés, beaucoup de membres des pouvoirs publics seraient dans
cette situation). Pire encore, le Procureur général près la Cour suprême de
justice est demeuré muet et ne semble pas avoir saisi la Justice. Pourtant,
c’est une question d’intérêt publique qui requiert une procédure inquisitoire.
En fin de
compte, la norme constitutionnelle sur la nationalité congolaise doit être
respectée par les dirigeants politiques et les autorités judiciaires doivent en
contrôler l’observation, aussi longtemps qu’elle est en vigueur. Cependant, si
le politique estime que cette norme est désuète par rapport à la réalité
qu’elle régit, il doit non pas la violer, mais la réviser en suivant la
procédure prévue à cet effet.
2.1.4. La nomination des bourgmestres, des maires et de
leurs adjoints
En date du
24 septembre 2008, le président de la République a procédé à la nomination des bourgmestres,
des maires et de leurs adjoints alors qu’ils doivent être élus en vertu du
nouveau droit[37]. Et
si les élections ne se sont pas encore déroulées, ce n’est pas par défaut de la
loi ; c’est plutôt faute de moyens financiers à mettre à disposition par
l’Exécutif. Au lieu de chercher et de rassembler ces moyens ou d’y pousser, le
Chef de l’Exécutif signe des ordonnances en violation de la lettre et de
l’esprit de la loi. Par ce fait, il a violé la loi et, en conséquence, ses
ordonnances peuvent être déclarées nulles.
2.1.5. Les conflits armés à l’Est du Congo
On assiste à
l’Est du Congo à des conflits armés ayant entraîné des morts et des expropriés
par milliers sans que la justice ne se saisisse de l’affaire[38].
Les solutions politiques fondées sur des conciliabules ayant généré notamment
le programme Amani, les négociations de Naïrobi et l’Accord de Goma ne se
substituent pas à la procédure judiciaire qui peut aboutir même à une
condamnation par défaut des criminels. Mais faut-il vraiment une plainte afin
que le procureur compétent engage des poursuites à l’encontre des présumés
criminels ? Ce silence de la Justice congolaise face à la situation de
l’Est est un indice majeur de sa dépendance à l’égard du politique. Les membres
du pouvoir judiciaire à qui incombe la mission de poursuivre les infractions et
qui ne l’ont pas accomplie devraient être sanctionnés pour violation par
omission de la loi.
Les cas sont
multiples et on ne peut pas les énumérer tous ici. Il suffit, pour s’en rendre
compte, de vivre au Congo ou de sonder les congolais et congolaises, aussi bien
les bénéficiaires que les victimes du système.
2.2. La cause de cet état d’esprit
Comment peut-on
expliquer tous ces cas de violation de la loi par les autorités
congolaises ? Est-ce l’influence de la conception africaine sacrale du
pouvoir ? Selon une mauvaise interprétation de cette conception du
pouvoir, tout est permis au chef qui n’est soumis à aucune règle. Or dans
l’Afrique traditionnelle, le chef était soumis aux règles ancestrales contenues
dans les proverbes et les brocards. Il ne pouvait s’en écarter sans que les
mânes s’abattent sur lui, à la suite des plaintes du peuple et des membres de
la famille royale. En outre, comme le pouvoir appartenait à la famille et non à
un individu en tant que tel, il existait une possibilité de destitution.
Celle-ci n’occasionnait pas la chirocratie à laquelle nous assistons au Congo-Kinshasa.
Sans risque
de me tromper, je pense que cet état d’esprit relève de la non-existence de la
séparation effective des pouvoirs.
Usuellement, la séparation des pouvoirs est présentée sous la forme d’un principe
abstrait selon lequel les trois fonctions de l’État -légiférer, exécuter et
juger- doivent être confiées à trois organes spécialisés, égaux et indépendants
les uns des autres. Car, la concentration de ces pouvoirs entre les mains d’une
seule autorité génère une société despotique. Il faut donc les partager entre
deux ou plusieurs autorités[39].
On peut même ajouter que cette société despotique peut également être générée
par les ingérences du politique dans le domaine judiciaire, comme c’est le cas
au Congo-Kinshasa, lesquelles ingérences sont confortées par la mollesse des
magistrats. Dans cet État, la séparation des pouvoirs est formelle, mais elle
est souvent violée. Car, l’Exécutif peut ordonner aussi bien des arrestations
et des détentions que des libérations en dehors de toute procédure judiciaire,
la Justice se retranchant dans un mutisme quasi-complice. Ce, d’autant plus que
les magistrats ne sont pas à l’abri, du moment qu’ils se livrent souvent à des
jugements arbitraires, par le biais d’interprétations des textes légaux fondées
sur des critères non pas juridiques ou tout simplement herméneutiques (le
texte, l’histoire, le système ou la téléologie), mais sur la valeur de ce
qu’ils ont reçu comme avantages ou sur l’intensité et l’origine des pressions
subies.
On dirait qu’en RDC, l’arbitraire est la règle et la légalité
l’exception. Pourtant, en formulant de manière succincte, en 1748, le moyen
d’organiser la division du pouvoir, Montesquieu visait, dans son De l’esprit des lois, non seulement la
protection de la liberté politique mais également celle de chaque personne
contre l’arbitraire. En réalité, il prône la
collaboration et l’équilibre des trois pouvoirs pour éviter la tyrannie de l’un
d’eux. Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les
régler, les tempérer, les faire agir, donner pour ainsi dire un lest à l’une
pour la mettre en état de résister à l’autre[40].
3. Le Pouvoir judiciaire et
le respect de la légalité au Congo-Kinshasa
Dans un État de droit, et le Congo s’en réclame[41],
il revient au Pouvoir judiciaire de faire respecter la loi par tous, y compris
par les autorités de l’État. C’est la raison pour laquelle son indépendance garantie
constitutionnellement doit être effective et non seulement textuelle (3.1) pour
permettre une poursuite et une instruction d’office en cas de violation
flagrante de la loi (3.2).
3.1. L’indépendance du Pouvoir
judiciaire au Congo-Kinshasa
Sous ce titre, sont exposés la base constitutionnelle du principe
d’indépendance de la justice (3.1.1), son contenu (3.1.2) et sa situation en
RDC (3.1.3). Enfin, une proposition est suggérée visant à l’effectivité de
cette indépendance (3.1.4).
3.1.1. La base constitutionnelle du principe
d’indépendance de la justice
La base
constitutionnelle de l’indépendance du Pouvoir judiciaire au Congo-Kinshasa est
l’article 149 de la constitution du 18 février 2006. Cette norme
dispose que « le Pouvoir judiciaire est indépendant du Pouvoir
législatif et du Pouvoir exécutif. » Elle précise que ce pouvoir
« est dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle,
la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Haute Cour militaire, les cours et
tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets rattachés à ces
juridictions. » Puis, elle ajoute que « la justice est rendue sur
l’ensemble du territoire national au nom du peuple. »
Cette
disposition constitutionnelle est on ne peut plus claire. Elle affirme sans
équivoque l’indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs
législatif et exécutif ; elle nomme les autorités chargées d’exercer ce pouvoir
et le souverain au nom duquel il est exercé. En conséquence, l’unique instance
au-dessus du Pouvoir judiciaire est le peuple et non pas un membre d’un autre
pouvoir, fût-il le « Chef de l’État » [42].
3.1.2. Le contenu de l’indépendance de la Justice
L’indépendance
est la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de
prendre ses décisions en toute liberté et à l’abri de toutes les instructions
et pressions[43]. De
manière générale, le principe d’indépendance signifie que l’institution
(l’autorité judiciaire) et la personne (le magistrat et ses missions) doivent
être à l’abri d’ingérences internes et externes, quelles qu’en soient leur
origine et leur nature. Au-delà de l’affirmation solennelle, il appartient au
juge lui-même, sous le contrôle de ses pairs (organes disciplinaires, etc.), de
donner un sens véritable à son indépendance. À ce titre, il y a lieu d’observer
strictement les règles éthiques et déontologiques, comme le devoir de réserve,
l’intégrité, les obligations liées à la représentation de l’institution
judiciaire, etc. En effet, les magistrats sont soumis à une déontologie dont le
respect des règles doit relever, au moins pour les magistrats du siège, de la
compétence d’une instance indépendante. Mais à quoi assistons-nous au
Congo-Kinshasa ?
3.1.3. La situation au Congo-Kinshasa
Il existe au
Congo-Kinshasa des ingérences des autorités politiques et militaires sur la
fonction de dire le droit avec pour effets : une sorte de déni de justice
formel, des jugements iniques et arbitraires… Pour s’en rendre compte, on peut
se reporter sur le rapport d’un expert onusien[44].
Mutatis mutandis, ce rapport
accablant qui concerne surtout la justice militaire vaut également pour la
justice civile et se passe de tout commentaire. Il est une véritable
photographie du fonctionnement de la justice au Congo dans ce qu’elle a de
visible. Mais en coulisses, il y a pire. Il suffit de discuter avec les
magistrats et les avocats de cette partie de l’Afrique centrale pour éprouver
la « nausée » d’y pratiquer le droit. Le téléphone constitue un moyen
très efficace de pression sur les magistrats qui sont parfois obligés de rendre
des décisions de complaisance, illégales et contraires à leur intime
conviction, soit pour sauvegarder leur vie et celle de leur famille, soit pour
se maintenir au poste, soit pour recevoir une promotion. À leur tour, les magistrats
exercent des pressions sur les avocats afin qu’ils leur offrent des avantages
matériels, et les avocats se rabattent sur leurs clients en des termes
similaires : « il faut donner une somme conséquente au juge afin que
votre affaire soit tranchée ». À la clé, c’est l’avocat le plus offrant
qui gagne le procès et non celui qui a le mieux plaidé. Ainsi donc, la sentence
ne reflète pas toujours la vérité judiciaire ni la vérité matérielle, car elle
ne donne pas raison à la partie qui a convaincu le juge, ni à celle qui a
matériellement raison, mais à celle qui a l’argent ou qui a le pouvoir comme
bouclier, qu’elle ait tort ou raison. La Justice est devenue un objet de
marchandage et rend ainsi des décisions annulables, voire nulles, sans que l’on
sache finalement à quelle autorité judiciaire indépendante on peut s’adresser
pour cela. On ne peut donc parler au Congo-Kinshasa d’une indépendance
effective de la justice qui est pourtant garantie constitutionnellement.
En violation des dispositions
constitutionnelles (en l’espèce les articles 187 al.2 et 182 cst), l’Armée[45]
et la Police sont parfois utilisées contre les civils par le Pouvoir exécutif,
sans que le Pouvoir judiciaire n’intervienne. C’est pourquoi
le Pouvoir judiciaire doit jouir d’une indépendance effective pour être capable
d’effectuer un contrôle d’office en cas de violation notoire de la loi.
3.2. La nécessité d’une poursuite et d’une instruction d’office en cas
de violation flagrante de la loi par le pouvoir public
L’arrogance
avec laquelle certains dirigeants politiques se conduisent et violent la loi et
les libertés publiques, au su et au vu des magistrats censés garantir le droit,
fondent la nécessité de former ces derniers à leur indépendance vis-à-vis des
membres d’autres pouvoirs. Cette indépendance est un droit appartenant au
Pouvoir judiciaire et qui est à conquérir pour son effectivité. La conquête d’indépendance
doit être le cheval de bataille magistrats. Les magistrats compétents doivent d’office
effectivement poursuivre, instruire et déférer devant la juridiction compétente
les cas de violation flagrante de la loi par les autorités publiques.
3.2.1. La nécessité d’instituer des procureurs
indépendants
La passivité
de la Justice congolaise devant les violations graves de la loi par les
autorités politiques exige l’institution des procureurs indépendants et non
« politiques », qui défendent l’intérêt public et non celui des
politiciens. Le procureur est un membre du ministère public. L’expression
« ministère public » désigne l’ensemble des magistrats chargés de
représenter la loi et les intérêts généraux de l’État devant les tribunaux. Le
ministère public est une invention du droit canonique, reprise par le roi de
France à la fin du XIIIe siècle et qui a été adoptée par de nombreux
pays[46].
Le procureur est l’avocat de l’État ou de la loi. Au XIIIe siècle,
si le roi devait défendre les intérêts de la Couronne en justice, il le faisait
devant sa propre cour, le Parlement, et mandatait un avocat. On disait alors un
« procureur ». D’où le nom actuel de procureur donné au personnel du
ministère public. Un procureur était un avocat au même titre que tout autre. Le
roi était un client parmi d’autres. L’État se développant, et ses intérêts devenant
nombreux et complexes, le roi prit des avocats à plein temps à son service, et
leur interdit de servir d’autres que lui. Ces avocats devinrent des officiers
du roi attachés à la juridiction devant laquelle ils plaidaient[47].
Aujourd’hui, ce titre est conféré aux « magistrats représentants du
ministère public et chefs de parquet auprès des principes juridictions »[48].
Ces magistrats défendent la loi et les intérêts de la République et
représentent cette dernière devant la Justice. Ils se doivent donc d’intervenir
lorsque l’intérêt public est en cause, sans attendre une quelconque autorisation.
Au
Congo-Kinshasa, il existe plusieurs procureurs. Le Procureur général près la
Cour constitutionnelle, le Procureur général près la cour de cassation et le
Procureur général près le Conseil d’État. Ne faut-il pas instituer un Procureur
général indépendant qui, en cas de défaillance de ces trois procureurs, peut
poursuivre les membres du pouvoir public pour violation flagrante et grave de
la loi ? Que cette institution soit aussi au niveau provincial et au
niveau inférieur, pour suppléer aux déficits des Procureurs généraux près les
cours d’appel et les cours administratives d’appel et à ceux des Procureurs de
la République près les tribunaux de grande instance. Tous ces procureurs
doivent être compétents. Pour cela, ils recevront une formation juridique sérieuse
qui dépasse le seul cadre de l’ordre juridique congolais et devront être
recrutés au terme d’un concours réellement réussi, avec au minimum 70%. Après
cette réussite, ils devront passer un stage d’au moins une année dans un État
de droit effectif, avant de se mettre au service de la loi congolaise. Ces
exigences, à prévoir dans une loi au sens formel, valent également pour les
magistrats du siège appelés à travailler dans diverses juridictions.
3.2.2. La nécessité d’une poursuite et d’une instruction
d’office
Devant le
silence des autorités judiciaires compétentes à l’égard des violations graves
et flagrantes de la loi, on peut se demander si au Congo toute violation de la
loi par une autorité publique ne peut être poursuivie que sur plainte. Quelle
que soit la réponse, qui dépend de a nature de la nature de la violation, il
faut relever que dans la conjoncture actuelle de ce pays au cœur de l’Afrique,
il est nécessaire d’instituer constitutionnellement une poursuite et une
instruction d’office de toutes les violations graves et flagrantes de la loi. Dès
lors, les magistrats compétents pour poursuivre et instruire pareilles
violations et qui ne se mettraient pas au service à l’expiration d’un délai,
qui devrait être constitutionnel ou légal, se verraient condamner pénalement
pour violation par omission de l’obligation de poursuite ou d’instruction. Cela
implique aussi, on se doute bien, la révision du droit pénal congolais et
l’effectivité du droit congolais en général qui finalement donne l’impression
d’être un texte mort surtout lorsqu’il doit être appliqué aux
« forts » ou mieux aux actes des « grosses légumes » du
Pouvoir en place.
On l’aura noté et souligné, le Pouvoir
judiciaire doit, dans notre pays, apprendre à résister aux autres pouvoirs,
surtout à l’Exécutif. Cette résistance passe, entre autres, par l’exercice du
pouvoir (au sens de droit et de devoir) de faire respecter la légalité par tous
les organes de l’État. Pour cela, il faut absolument un Pouvoir judiciaire
effectivement indépendant, crédible et fort.
Conclusion
Au
Congo-Kinshasa, le pouvoir public est exercé par des autorités qui se
considèrent comme des supra-légaux. On se croirait dans un État de police où la
loi est au service du pouvoir. Pourtant, la constitution affirme que la République
démocratique du Congo est un État de droit, bien que n’étant pas effectivement encore
instauré, faute d’une séparation effective des pouvoirs. Cette instauration
passe par l’observation de la loi au sens large par tous, surtout par les
membres d’organes étatiques, à savoir le Législatif, l’Exécutif et le
Judiciaire. Le contrôle de ce respect exige une indépendance effective de la
Justice. Cette indépendance, bien que garantie par la constitution, n’est pas
un présent à recevoir. Les magistrats doivent la conquérir en portant courageusement
des arrêts de principe qui rappelle qu’ils n’ont d’autre autorité que la loi. Il
n’existe pas réellement d’État de droit sans respect de la légalité au sens de
suprématie et de réserve de la loi.
Constantin Yatala Nsomwe
Ntambwe
Docteur en Droit de
l’Université de Fribourg (Suisse).
[1] La loi est à entendre ici au sens général de toute norme générale et
abstraite de l’ordonnancement juridique congolais ou tout simplement ce dernier
(cf. Y. LE ROY / M.-B. SCHOENENBERGER, Introduction générale au droit suisse, 2e
édition entièrement refondue, Schulthess / Bruylant / LGDJ, Genève. Zurich.
Bâle / Bruxelles / Paris 2008, p. 103).
[2] Dans un environnement où la personne physique est identifiée à
l’institution qu’elle dirige, je tiens à préciser que mon étude est strictement
juridique et non politique. Elle ne vise aucune personnalité politique, en tant
qu’individu. Dans mon approche, ce dernier est à distinguer de l’institution
qu’il représente. Partant, l’appréciation des actes d’une institution ne doit
pas être confondue avec celle de la personne physique qui agit au nom et pour
le compte de cette institution.
[3] Les sources matérielles
ou réelles « sont l’ensemble des faits, besoins et idées qui ont présidé à
l’adoption d’une norme ou d’un ensemble de normes. On emploie aussi le mot
« cause » (Y. LE ROY / M.-B. SCHOENENBERGER, p. 84).
[4] G. CORNU, Vocabulaire juridique,
4e édition mise à jour, Quadrige / PUF, Paris 2003, Verbis « Puissance publique».
[5] Ibidem, Verbo
« Politique ». Sur l’étymologie et le développement sémantique de
l’expression « pouvoir politique, lire : P. PACTET / F.
MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel,
27e édition mise à jour, Dalloz, Paris 2008, p. 12 ss.
[6] Ibidem, Verbo « Pouvoir ».
[7] Le droit canonique le nomme pouvoir de gouvernement (cf. le canon 135 §1
qui dispose que « dans le pouvoir de gouvernement, on distingue les
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire »).
[8] G. Cornu, verbis « État de Droit ».
[9] L. Favoreu / P. Gaïa / R. Chevontian
/ J.-L. Mestre / o. Pfersmann /A. Roux / G. Scoffoni, Droit constitutionnel, 2e
éd., Dalloz, Paris 1999, p. 81.
[10] P. PACTET / F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, p. 121.
[11] Sur les origines et la notion d’État de droit, lire ma thèse de
doctorat (C. YATALA NSOMWE NTAMBWE, L’institution
de tribunaux administratifs dans la société ecclésiale, Thèse, Fribourg
2009, p. 244 ss ; cf. AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Volume II : Les droits fondamentaux,
2e édition, Stämpfli, Berne 2006, p. 469-470.
[12] Cité par J. Chevallier, L’État de droit, 4e éd.,
Montchestien, Paris 2003, p. 16.
[13] Cité par J. Chevallier,
p. 16. À noter que Mohl a désamorcé l’antagonisme entre Rechtsstaat et Polizeistaat.
Pour lui, au lieu de Rechtsstaat, une
formule peu heureuse, mieux vaut parler de Recht-und
Polizeistaat (État de droit et de police) ou de Verstandesstaat (État de raison) (R. von Mohl, Encyclopädie der
Staatswissenschaften, 2e éd., Laupp, Tübingen 1872, p.
326 ; Idem, Das
Staatrecht des Königreiches Württemberg, t. 1, 1829, p. 11, note 3). Mais
par respect pour l’usage sémantique, il a maintenu l’expression de
Placidus : Rechtsstaat (R. von Mohl,
Encyclopädie, p. 326).
[14] On notera que pendant longtemps l’absence de contrôle de
constitutionnalité en France avait conduit les juristes à y déplorer
l’inachèvement de l’État de droit et à dénoncer la toute-puissance du Parlement
dans l’examen de la conformité constitutionnelle des lois. C’est ainsi que la
mise en place du Conseil constitutionnel en 1958 était vue comme une grande
innovation (F. Terré, Introduction générale au droit, 6e
éd., Dalloz, Paris 2003, p. 95).
[15] D. ALLAND / S. RIALS, Dictionnaire
de la culture juridique, Quadrige / Lamy-PUF, Paris 2003, Verbis [Légalité (Principe de)].
[16] F. VUNDWAWE te PEMAKO, Traité de
droit administratif, Larcier Bruxelles 2007, p. 89.
[17] L’art. 5 de la constitution suisse résume le principe de la légalité
dans une formule élégante: « la loi est la base et la limite de l’activité
de l’État. »
[18] C. 85 du Code de droit canonique de 1983.
[19] À noter que ce principe
ne signifie pas que le prince n’est pas soumis à la loi en vigueur, mais qu’il
peut la modifier, en tant que c’est lui qui l’a édicté (cf. Y. LE ROY / M.-B.
SCHOENENBERGER, p. 132).
[21] Aujourd’hui, on parlerait de clause de police
ou de situations d’urgence ou de péril en la demeure qui exigent que l’autorité
agisse librement, même en dehors de tout respect de la loi, pour préserver
l’intérêt public.
[22] Cf. Y. LE ROY / M.-B.
SCHOENENBERGER, p. 132-133.
[23] P. PACTET / F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, p. 33.
[24]L’institution de cette obligation de soumettre
les lois à promulguer au contrôle de constitutionnalité réduirait à néant l’art.160
al. 3 de la constitution qui prévoit pour le Président de la République, le
Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat
ou le dixième des députés ou des sénateurs une simple possibilité de déférer à
la Cour constitutionnelle pour examen de constitutionnalité des lois à
promulguer. À noter que d’après l’art.162 al. 2 toute personne peut contester
la constitutionnalité un acte législatif ou réglementaire par un recours
abstrait ou concret devant la Cour.
[25] §51 du Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des
juges et des avocats, Leandro Despouy, sur sa mission en République
démocratique du Congo (15-21 avril 2007), présenté devant le Conseil des droits
de l’homme, le 11 avril 2008, à la huitième session consacrée à « la
promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement ».
[26] À noter que la constitution congolaise ne mentionne pas le droit à un
juge indépendant et impartial. Ce qui pourrait faire croire que ce droit n’est
pas reconnu par l’ordre juridique congolais. Mais il est garanti par l’article
14 al.1 in limine du Pacte
international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques
auquel le Congo-Kinshasa a adhéré le 1er novembre 1976 et qui est
entré en vigueur pour lui le 1er février 1977. Partant, tout
congolais peut s’en prévaloir.
[27]http://www.radiookapi.net/index.php?i=53&l=0&c=0&a=21802&da=&hi=0&of=2&s=&m=2&k=0&r=all&sc=0&id_a=0&ar=0&br=qst, consulté le 13
janvier 2009.
[29]http://www.radiookapi.net/index.php?i=53&l=0&c=0&a=21802&da=&hi=0&of=2&s=&m=2&k=0&r=all&sc=0&id_a=0&ar=0&br=qst, consulté le 13
janvier 2009. À noter qu’au Congo
s’est développée une manie qui établit une équation entre les institutions et
leurs animateurs qui a fini par identifier le chef d’une institution à
l’institution. Cela ne peut que constituer un terrain propice pour le
déploiement de l’arbitraire. C’est une mentalité contre laquelle il faut
absolument lutter pour sa proscription, si l’on veut établir un État de droit
en RDC.
[30] « L'ordonnance
autorisant la mise en état de détention préventive est valable pour 15 jours, y compris le jour où
elle est rendue. À l'expiration de ce délai, la détention préventive peut être prorogée pour un
mois et ainsi de suite de mois en mois, aussi longtemps que l'intérêt
public l'exige. Toutefois, la détention préventive ne peut être prolongée
qu'une seule fois si le fait ne paraît constituer qu'une infraction à l'égard
de laquelle la peine prévue par la loi n'est pas supérieure à deux mois de
travaux forcés ou de servitude pénale principale. Si la peine prévue est égale
ou supérieure à 6 mois, la détention préventive ne peut être prolongée plus de
3 fois consécutives. » Dépassé ce délai, la prolongation de la détention
est autorisée par le juge compétent statuant en audience publique.
[31] http://www.rsf.org/imprimer.php3?id_article=22214,
consulté le 13 mars 2009.
[32] §50 du Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU.
[33] §49 du Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU.
[34] AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, p. 587-588.
[35] ATF 120 IV 107=JdT 1996 IV 190 ; ACEDH Stögmüller du 10 novembre
1969, Série A, n°9, §5.
[36] AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, p. 588.
[37] Cf. art. 199 et 183 de la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant
organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales,
urbaines, municipales et locales et art. 56 al. 1 et 30 al. 1 de la Loi
organique n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et
fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec
l’État et les Provinces. La seconde loi a été promulguée peu après la sortie
des ordonnances, c’est pourquoi elle est citée en deuxième position ici.
[38] La fameuse communauté internationale se contente des condamnations
verbales. Le Secrétaire général,
Ban Ki-moon a condamné le 30 décembre 2008 les atrocités épouvantables commises
par les rebelles ougandais de l’Armée de la Résistance du Seigneur (LRA) dans
le nord-est de la RDC (www.un.org/apps/newsFr.asp?News ID=1893&cr=LRA&cr1=RDC, consulté le 3
janvier 2009). Louis Michel, celui par qui, entre autres, transite le malheur
du Congo et des congolais, avec la grande complicité des pseudo-congolais, a
fait de même le 02 janvier 2009 (www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/détail/586217/2008/0, consulté le 3 janvier 2008). Mais personne
n’ose saisir une juridiction internationale pour que les responsabilités soient
établies et que les coupables soient sanctionnés, surtout devant le silence
coupable, sur ce point, de la Justice congolaise et du Gouvernement congolais
en général.
[39] LE ROY / Schœnenberger,
p. 255.
[40] D. Chagnollaud, Droit constitutionnel contemporain,
Dalloz, Paris 1999, p. 59 et 61.
[42] L’expression « Chef de l’’État paraît dangereuse pour un État de droit en gestation, car elle
véhicule la fausse idée que le Chef de l’Exécutif est au dessus des pouvoirs
législatif et judiciaire, ignorant ainsi le principe de la séparation des
pouvoirs qui sont égaux, avec comme conséquence la dictature d’un pouvoir,
voire d’un individu. C’est pourquoi, la préférence doit être accordée à
l’expression « Président de la République », celle de « Chef de
l’État » pouvant être réservée au peuple comme souverain et source de tout
pouvoir étatique.
[43] CORNU, Verbo
« Indépendance ».
[44] §§ 39 et 40 du Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU.
[45] Je pense qu’il est urgent de réviser la constitution à propos du
commandement suprême des forces armées qui ne doit plus être l’affaire d’une
seule personne (art. 83 cst.), mais d’une commission paritaire représentant le
Parlement et le Gouvernement. Cette commission serait constituée de plusieurs
tendances politiques et prendrait ses décisions à la majorité de deux tiers.
Cela pourrait, tant soit peu, éviter aux citoyens congolais, entre autres,
l’insécurité générale, les exactions, les tortures et les assassinats possibles
conçus et téléguidés par les dirigeants politiques.
[46] Le Roy / Schœnenberger, p. 220.
[47] Le Roy / Schœnenberger, p. 220.
[48] CORNU, Verbo
« Procureur ».
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